Articles

La Grande Chambre de recours de l’OEB a rendu sa décision très attendue G2/21 (« plausibilité »)
Brevets

La Grande Chambre de recours de l’OEB a rendu sa décision très attendue G 2/21 (« plausibilité »)

La Grande Chambre de recours de l'OEB a récemment rendu une décision G 2/21 « plausibilité » relative à la prise en compte de données expérimentales soumises post-dépôt pour étayer un effet technique lors de l’évaluation de l’activité inventive.

Remarques préliminaires

L'approche problème-solution préconisée par l’OEB comporte classiquement les étapes suivantes :

i) déterminer l'état de la technique le plus proche de l’invention revendiquée (EDT), 

ii) déterminer la différence entre l’invention revendiquée et l’EDT,

iii) déterminer l’effet technique découlant de la différence,

iv) formuler le problème technique objectif au vu de l’effet technique, et 

v) examiner si une personne du métier, partant de l’état de la technique le plus proche et cherchant à résoudre le problème technique objectif, serait parvenu à la solution technique revendiquée de manière évidente.

Afin de formuler le problème technique objectif, l’approche « problème-solution » requiert d’évaluer l’effet technique obtenu par l’invention revendiquée par rapport à l’état de la technique le plus proche. 

Dans certains cas, l’OEB peut requérir la fourniture de données comparatives pour montrer les avantages de l’invention revendiquée par rapport à un art antérieur qui est considéré par l’OEB comme l’état de la technique le plus proche et dont le titulaire n’avait pas forcément connaissance au moment du dépôt. 

Ainsi, pour justifier d’un effet technique et argumenter en faveur de la présence d’une activité inventive, le demandeur peut être amené à soumettre devant l’OEB des données expérimentales non divulguées dans la demande telle que déposée.

Dans la décision T116/18, la Chambre de recours 3.3.02 a saisi la Grande chambre de recours (GCR) sur la question de la prise en compte par l’OEB de données expérimentales soumises après le dépôt pour prouver l'existence d'un effet technique (« post-published evidence »).

Rappel de l’affaire T116/18

Cette affaire concerne la validité d’un brevet EP 2 484 209 revendiquant une composition comprenant une combinaison d’insecticides connus. Le brevet met en avant un effet synergique, les exemples montrant en effet une synergie de certaines combinaisons à l'encontre de deux insectes particuliers, la noctuelle rayée (Spodoptera litura) et la teigne des choux (Plutella xylostella).

Lors de l'opposition, l'opposante a soumis des données montrant une absence de synergie pour certaines combinaisons couvertes par le brevet. En réponse, le titulaire a présenté des données supplémentaires montrant un effet synergique contre la pyrale du riz (Chilo suppressalis). 

La chambre de recours a estimé que la question de la prise en compte des données soumises par le titulaire était fondamentale pour trancher la question de l'activité inventive :

- si ces données étaient prises en compte, le problème technique objectif pouvait être formulé comme celui de fournir une composition dans laquelle les insecticides agissent synergiquement contre la pyrale du riz, et la solution était alors inventive,

- en revanche, si ces données n’étaient pas prises en compte, le problème technique objectif devait être redéfini comme étant de fournir une composition insecticide alternative, et la solution était alors évidente.

La chambre de recours a considéré que la question des circonstances dans lesquelles des données soumises post-dépôt peuvent être acceptées au soutien de l’activité inventive faisait essentiellement l’objet de trois lignes de jurisprudence divergentes :

- selon une première ligne de jurisprudence dite de « plausibilité ab initio », ces données peuvent être prises en compte dès lors qu’il est plausible que l’effet technique allégué est atteint au moment du dépôt ;

- selon une deuxième ligne de jurisprudence dite de « défaut de plausibilité ab initio », ces données sont prises en compte dans tous les cas, sauf lorsqu’il y a des raisons légitimes de douter que cet effet technique soit atteint au moment du dépôt,

Enfin, une troisième ligne de jurisprudence rejette le concept de plausibilité (« pas de plausibilité »).

La chambre de recours a saisi la Grande Chambre de recours (GCR) afin de clarifier les circonstances dans lesquelles le demandeur peut légitimement invoquer des données post-dépôt pour défendre la présence d’une activité inventive.

La première question de la chambre de recours dans l’affaire T116/18 était de savoir s’il fallait considérer que par principe des données post-dépôt doivent être écartées dès lors qu’il n’y a aucune preuve de l’effet technique allégué par la titulaire dans la demande de brevet telle que déposée, autrement dit que l’effet technique allégué n’est étayé que par les données fournies post-dépôt.

Dans ses questions 2 et 3, qui n’appelaient de réponse qu’en cas de réponse positive à la première question, la chambre de recours invitait la GCR à indiquer si le critère à suivre était celui de « plausibilité ab initio » ou celui du « défaut de plausibilité ab initio ».

Dans son opinion préliminaire en date du 13 octobre 2022, la Grande Chambre de Recours a confirmé la recevabilité de la saisine et la pertinence des questions posées.

La décision G2/21

La décision G2/21 a été rendue le 23 mars 2023.

En réponse à la première question de la chambre de recours, la GCR estime que la libre appréciation des preuves est un principe universellement applicable auquel la question de la plausibilité ne fait pas exception. Ce point est clairement énoncé au point 1 du résumé de la décision G2/21 :

« 1 - Les preuves présentées par un demandeur ou un titulaire de brevet pour prouver un effet technique invoqué pour la reconnaissance de l'activité inventive de l'objet revendiqué ne peuvent pas être écartées au seul motif que ces preuves, sur lesquelles repose l'effet technique, n'ont pas été rendues publiques avant la date de dépôt du brevet en cause et ont été déposées après cette date. »

La GCR décide donc que des données soumises post-dépôt pour démontrer l’existence d’un effet technique au soutien de la reconnaissance d’une activité inventive ne peuvent être écartées au seul motif qu’elles ont été soumises après le dépôt.

La GCR répond par la négative à la première question et n’avait donc pas à répondre aux questions 2 et 3. La décision G2/21 fournit néanmoins de nouvelles orientations quant à la question de la prise en compte des données post-dépôt lorsqu’elles sont soumises au soutien de l’activité inventive.

Premièrement, la GCR considère que la notion de « plausibilité » n’est pas prévue par la CBE, ne correspond à aucun concept légal, et ne saurait être considéré comme un critère distinct de brevetabilité1. Elle estime qu’il s’agit seulement d’un terme générique (« catchword ») englobant tout ce qui a trait aux questions relatives à l’existence ou non d’un effet technique allégué2.

La GCR considère ensuite la question de la prise en compte par l’OEB de données post-dépôt soumises pour montrer l’existence d’un effet technique en vue de défendre la présence d’une activité inventive.

A l’issue d’une analyse détaillée de la jurisprudence, la GCR conclut que contrairement à ce que suggère la chambre de recours dans le libellé de ses questions 2 et 3, la question de la prise en compte de données post-dépôt au soutien de l’activité inventive ne saurait être circonscrite à une simple alternative entre les approches « plausibilité ab initio » et « défaut de plausibilité ab initio »3

La GCR considère que cette question doit être abordée de manière plus large, et que « [l]e critère pertinent pour se reposer sur un effet technique lorsque l’on évalue si un objet revendiqué implique ou non une activité inventive concerne la question de savoir ce que la personne du métier, ayant à l'esprit les connaissances générales communes, comprendrait, à la date de dépôt de la demande comme étant l'enseignement technique de l'invention revendiquée. »4.

Elle conclut en proposant le critère suivant quant à la prise en compte des données post-dépôt : « L'effet technique invoqué, même à un stade ultérieur, doit être compris dans cet enseignement technique [celui de la demande telle que déposée] et faire partie de la même invention, car un tel effet ne change pas la nature de l'invention revendiquée. ». 

Ce critère, repris au point 2 du résumé de la décision G2/21, semble requérir trois conditions cumulatives pour que des données soumises post-dépôt puissent être prises en compte dans l’appréciation de l’activité inventive, à savoir que ces données doivent concerner un effet technique :

(i) « compris dans l’enseignement technique de la demande telle que déposée »,
(ii) « fai[sant] partie de la même invention que celle divulguée à l’origine », et
(iii) « ne change[ant] pas la nature de l’invention revendiquée ».

La GCR précise bien que la possibilité de se reposer sur des données post-dépôt est beaucoup plus limitée en matière de suffisance de description. En particulier, lorsqu’un effet thérapeutique est revendiqué, la GCR indique que pour satisfaire le critère de suffisance de description, la preuve de l’effet thérapeutique doit être fournie dans la demande telle que déposée, et qu’un manquement à cet égard ne saurait être remédié par des données soumises post-dépôt5.

Conclusions

La décision G2/21 de la GCR confirme qu’on ne peut en aucun cas exclure par principe des données post-dépôt soumises au soutien de l’activité inventive, et ce même dans le cas où ces données post-dépôt constituent le seul moyen de preuve de l’effet technique allégué.

Toutefois, le critère proposé par la GCR semble impliquer que des preuves soumises post-dépôt ne pourront désormais être prises en considération au soutien de l’activité inventive, afin de démontrer un effet donné, que dans les cas où cet effet technique est « compris dans l’enseignement technique de la demande telle que déposée », « fait partie de la même invention que celle divulguée à l’origine » et qu’il « ne change pas la nature de l’invention revendiquée ». La GCR ne fournit toutefois aucune précision quant à la manière d’apprécier ces trois conditions et reconnaît que sa décision présente « un certain degré d’abstraction »6. Les conditions fixées dans G 2/21 restent donc à apprécier au cas par cas.


Point 92 des motifs

Point 58 des motifs

Point 71 des motifs

Point 93 des motifs

Point 77 des motifs

Point 95 des motifs

Partager sur :