Articles

Innovation, brevets et croissance durable : les enseignements des lauréats du prix Nobel d’économie 2025

Innovation, brevets et croissance durable : les enseignements des lauréats du prix Nobel d’économie 2025

Le prix Nobel d’économie 2025 vient d’être décerné à un trio d’économistes de renommée internationale : le Français Philippe Aghion, l’Américano-Israélien Joel Mokyr et le Canadien Peter Howitt. Cette prestigieuse distinction couronne plusieurs décennies de travaux sur les liens entre innovation, croissance économique et dynamiques industrielles. Leurs recherches ont approfondi notre compréhension des moteurs de la croissance dans les systèmes économiques, en plaçant l’innovation au cœur de cette dynamique.

L’innovation comme moteur principal de la croissance
Les travaux de Philippe Aghion et de ses co-lauréats démontrent que la croissance des pays développés observée depuis plusieurs dizaines d’années ne s’explique plus seulement par une simple accumulation de capital ou une augmentation du travail. C’est l’innovation, au sens large – progrès technologique, organisationnel ou scientifique – qui joue désormais un rôle central dans l’augmentation de la productivité et du niveau de vie. 
A mesure qu’un pays se rapproche de la frontière technologique – c’est-à-dire du niveau le plus avancé en termes de technologies disponibles, sa croissance dépend de plus en plus de l’innovation. Ainsi, la corrélation entre croissance et investissements en R&D, ou entre croissance et nombre de brevets déposés, devient de plus en plus marquée dans les économies avancées.

Le rôle des brevets 
Un des apports substantiels des travaux de Philippe Aghion réside dans l’analyse fine du rôle des brevets dans ce système vertueux. 
En garantissant une exclusivité temporaire sur l’exploitation commerciale d’une innovation, les brevets permettent aux entreprises d’espérer un retour sur investissement de leur R&D et les incite à investir. Sans cette perspective, le risque économique associé à l’innovation paraitrait trop élevé. Si certains opposants au système des brevets agitent fréquemment le drapeau du prétendu frein concurrentiel lié au monopole d’exploitation, qui constituerait un rempart aux initiatives innovantes, les travaux des lauréats du Nobel 2025 mettent en lumière que cette exclusivité d’exploitation accordée constitue en réalité un moteur nécessaire d’incitation à innover et que son caractère temporaire permet d’assurer un équilibre des intérêts. Plus encore, outre son impact indéniable pour inciter à innover, le système de protection par brevets stimulerait même les chercheurs pour tenter de supplanter les technologies protégées : les entreprises, désireuses de capter des parts de marché dans un domaine où des monopoles sont déjà conférés par des brevets existants, sont poussées à innover à leur tour pour contourner les technologies dominantes.

La destruction créatrice comme source de dynamique de progrès
Ce mécanisme est au cœur du concept de destruction créatrice, que MM. Aghion et Howitt ont formalisé dans un cadre théorique rigoureux. Dans leur modèle de croissance par l’innovation, la dynamique économique repose sur une succession d’innovations introduites par des entreprises cherchant à obtenir un avantage concurrentiel temporaire. Une innovation remplace la précédente, déclenchant ainsi un cycle perpétuel de progrès technique et de transformation industrielle.
Le modèle montre le caractère éphémère du monopole : chaque brevet n’est qu’un tremplin vers une nouvelle innovation, qui viendra inévitablement remplacer la précédente. La croissance naît donc de cette tension permanente entre incitation à innover pour bénéficier d’un monopole temporaire, et recherche d’alternatives technologiques pour le contourner. Ce cycle structuré par les brevets contribue ainsi à la croissance économique sur le long terme, et aux développements d’innovations de ruptures entrainant l’obsolescence de technologies protégées.

Un équilibre fragile : le sous-investissement en R&D
Cependant, les travaux des lauréats mettent aussi en lumière le fait que, malgré les incitations offertes par les brevets, le niveau d’innovation généré spontanément par le marché est souvent inférieur à l’optimum social.
Ce sous-investissement provient du fait que les entreprises ne captent qu’une partie des bénéfices générés par leurs innovations. Les retombées positives, sur d’autres entreprises, sur les consommateurs ou sur le marché du travail, constituent des externalités qui échappent à l’innovateur. 
Pour corriger ce biais, les lauréats plaident pour un renforcement des incitations publiques à l’innovation : subventions ciblées, crédits d’impôt, soutien à la recherche fondamentale, ou dispositifs fiscaux visant à mieux aligner intérêts privés et gains sociaux. 
Le bon niveau d’investissement en R&D est celui qui permet de pleinement internaliser ces bénéfices diffus, condition nécessaire pour atteindre l’optimum.

Le rôle crucial de l’État et les politiques d’innovation
Les interventions publiques à travers les différentes institutions ont donc pour les économistes un rôle crucial afin de garantir le bon fonctionnement de la protection de l’innovation. L’État a un rôle stratégique à jouer : il peut encourager l’innovation en finançant directement la recherche, notamment fondamentale, soutenir les entreprises innovantes par des incitations fiscales, ou encore inciter les entreprises à protéger leurs innovations en subventionnant une partie des dépenses de brevets engagées par les déposants.
À cet égard, la récente décision de rendre les dépenses liées aux brevets inéligibles au Crédit Impôt Recherche (CIR) apparait contreproductive. Le CIR est un dispositif fiscal clé destiné à encourager l’investissement en R&D. En excluant les coûts associés à la protection de l’innovation (dépôt, maintien, défense des brevets), cette décision conduit à affaiblir les incitations à innover, en particulier pour les PME et les entreprises de haute technologie.
Les travaux des prix Nobel d’économie 2025 invitent donc à une réflexion approfondie sur les mécanismes publics de soutien à l’innovation. Si les brevets structurent la dynamique d’une croissance durable, ils ne peuvent pas garantir un niveau optimal d’investissement. L’État doit jouer son rôle pour accompagner, protéger et dynamiser l’écosystème de l’innovation en France.

Conclusion 
Les travaux des lauréats soulignent le rôle structurant des brevets dans un modèle de croissance fondé sur l’innovation. En garantissant aux entreprises une protection temporaire de leurs inventions, le système de brevets agit comme un puissant levier d’incitation à la recherche, tout en favorisant l’émergence d’innovations de rupture. Ce système nécessite un soutien institutionnel adapté pour déployer tout le potentiel de ce cercle vertueux entre innovation, brevet et croissance durable.
En valorisant les travaux de Philippe Aghion, Joel Mokyr et Peter Howitt, la décision de l’Académie suédoise rappelle que l’innovation n’est pas un luxe, mais une nécessité pour maintenir le progrès économique, social et environnemental. 

Partager sur :