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Innovation sociale, environnementale, humanitaire : le cercle vertueux de la propriété intellectuelle

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[La retranscription du podcast]

A travers l’étude du cas de Nutriset, Xavier Rodrigues, juriste et responsable du département Internet & Data nous explique comment un brevet a permis qu’un aliment thérapeutique prêt-à-l’usage révolutionne la prise en charge de la malnutrition dans les pays d’Afrique Sub-saharienne.

En 10 minutes, ce podcast explore le cercle vertueux que mettent en place les titres de propriété intellectuelle en ce qu’ils permettent notamment le choix du mode d’exploitation de ses inventions et de sa marque, et in fine du développement de son modèle. 10 minutes également pour répondre sans faux-semblants aux questions que soulève parfois la protection d’une invention par le brevet dans les secteurs humanitaires ou du développement durable.

Le Grand Palais a accueilli il y a quelques jours à Paris la première Exposition universelle des solutions pour la Planète, ChangeNOW. L’occasion de rappeler comment la propriété industrielle peut être utilisée comme outil de développement pour servir les innovations sociales et environnementales.

Plasseraud IP était présent au salon ChangeNOW, n’est-ce pas ?

Exactement, nous y tenions un stand et nous sommes aussi intervenus au cours d’un atelier dans lequel nous avons exploré l’exemple de l’un de nos clients, Nutriset. Cette société a développé LE premier aliment thérapeutique unidose prêt à l’emploi, qui a révolutionné la lutte contre la malnutrition chez les enfants dans les zones d'urgence, de guerre et de catastrophe, au point de devenir une référence recommandée par l’OMS ou l’UNICEF.
C’est un cas concret d’innovation à impact positif qui a réussi, notamment, grâce au brevet.

Est-ce que le brevet peut être un levier de développement pour ce type d’innovation ?

Le brevet, on a souvent tendance à le considérer comme une arme défensive ou offensive. Mais il permet bien plus que ça. 

D’abord, quand on est une startup et qu’on porte un projet innovant en matière d’aide humanitaire ou de développement durable, on n’a pas forcément conscience de l’importance de breveter.

De façon générale, on pense qu’une invention dans ces domaines devrait bénéficier gratuitement au plus grand nombre, et donc qu’elle ne devrait pas être protégée par un brevet. Mais le brevet peut effectivement être utilisé pour servir au mieux les intérêts des populations les plus concernées. Il peut être source de création de valeur partagée et permettre la création de partenariats forts.

L’exemple de Nutriset s’inscrit justement dans cette logique, n’est-ce pas ?

Tout à fait, et il est très intéressant à ce titre puisqu’il démontre que c’est justement le choix d’une stratégie originale en matière de protection de l’innovation qui a permis à la société d’atteindre ses objectifs : 50% des achats se font localement, on produit au Sud pour développer au Sud.

Le brevet a d’abord permis de protéger la formule initiale, notamment dans les pays d’Afrique subsaharienne.

Il a ensuite servi à attirer des investisseurs locaux, à implanter des usines dans ces pays d’Afrique, en leur proposant une exclusivité sur un territoire donné avec une technologie reconnue. 

Et il a surtout permis un développement économique, social et financier et la création d’un écosystème qui n’existait pas auparavant dans ces pays-là. La qualité du produit a pu être maintenue grâce à la mise en place d’un réseau de producteurs locaux qui fabriquent en franchise des produits compétitifs et de qualité identique à ceux du titulaire du brevet. 

Enfin la distribution auprès des populations locales a pu être maîtrisée parce que le brevet a aussi servi d’arme défensive pour s’opposer à la concurrence déloyale des autres fabricants (notamment des pays du Nord) et faire obstacle aux importations non autorisées.

La protection par brevet a ainsi eu pour effet de développer le tissu économique local et de tenir à distance la concurrence des pays du Nord pour laisser le bénéfice de cette économie aux locaux dans les pays du Sud.

Pour Nutriset, le brevet a également permis de développer toute une gamme de produits conçus de la même manière mais pour lutter contre des problèmes de malnutrition moins sévère. Et les redevances obtenues sur les licences du brevet ont été mises à profit pour financer des études sur le traitement de la malnutrition. C’est donc un cercle vertueux.

Alors comment bénéficier de la protection la plus efficace possible grâce au brevet ?

Là, tout est question de rédaction ! Les Conseils en propriété industrielle vont vous aider à rédiger votre brevet pour obtenir la protection la plus large possible. Plus le champ de protection du brevet est large, plus il est difficile à contourner. On ne se limite pas à la formule spécifique d’un produit par exemple, mais on essaye d’aller plus loin et de raisonner fonctionnellement. Et plus l’invention sera susceptible de constituer une rupture d’un point de vue technique, plus le brevet pourra être créateur de valeur.

Pour autant, il n’est pas nécessaire de tout divulguer dans le brevet. Quand on rédige un brevet, on peut se ménager certains aspects technologiques et ne pas les faire figurer dans la description ou dans les revendications (par exemple, on peut conserver secrète une partie des ingrédients techniques, la formulation ou la stabilisation d’un produit, etc.). Il ne s’agit pas forcément de tout dire, de tout décrire en détail. 

Un Conseil en propriété industrielle sait jusqu’où il faut aller, trouver le juste équilibre pour satisfaire les critères de délivrance du brevet, notamment de décrire suffisamment l’invention, sans dévoiler les secrets de fabrique. A la manière des grands chefs qui livrent leurs recettes, c’est à dire sans dévoiler le tour de main qui relève de leur savoir-faire gardé bien secret. 

C’est un aspect fondamental d’une stratégie de propriété intellectuelle : savoir doser ce qu’on doit révéler pour qu’un brevet soit opposable aux concurrents, mais sans se mettre soi-même en danger d’être copié.

Concernant les pays de protection, on commence en général par une demande de brevet français, puis on poursuit avec une demande internationale (que l’on pourra ensuite valider dans certains pays phares où la concurrence est présente et où l’on exploite, pour Nutriset par exemple en Europe, aux Etats-Unis et dans les pays africains).

Le brevet peut ensuite être donné en licence dans le cadre d’une stratégie bien définie.

D’autres droits de propriété industrielle : peuvent-ils être combinés au brevet pour faciliter le déploiement des innovations sociales, environnementales ou humanitaires, dans le cadre de franchise par exemple ?

Juridiquement, il faut savoir qu’il n’y a pas de franchise à proprement parler sans licence de marque. C’est une des conditions de validité de ces contrats. La franchise consiste justement à donner licence, c’est-à-dire donner le droit à des entreprises avec qui on est lié par un contrat de licence (les licenciés) d’exploiter notre technologie, sous notre marque.

Pour avoir un système de franchise efficace, il faut davantage qu’une licence « sèche » de brevet. Le modèle peut-être plus complexe, plus riche et donc bien plus probant : la franchise peut inclure une licence de brevet, mais aussi un transfert de savoir-faire, une assistance technique, commerciale, et une licence de marque.

Dans ce type de projet, comme cela a été le cas pour Nutriset, il faut accompagner concrètement les partenaires locaux dans les recherches de financement pour monter les usines, recruter, former le personnel, délivrer une assistance technique et s’assurer de la réelle transmission du savoir-faire sur place.

Ça implique donc d’adopter non seulement une stratégie de protection géographique pertinente pour les brevets, comme on l’a vu juste avant, mais aussi pour les marques, en prévoyant une protection efficace et cohérente en termes de couverture géographique et de produits et services.

Le brevet a une durée de vie limitée à 20 ans. Alors que se passe-t-il ensuite ?

Après 20 ans, un brevet tombe dans le domaine public, c’est-à-dire que n’importe quelle société peut reproduire librement les procédés techniques qui étaient couverts par le brevet. Les partenaires locaux auxquels une licence aurait été accordée ne sont plus en mesure de revendiquer une exploitation de droit sur leur territoire, ce qui veut dire que des concurrents pourront venir produire et vendre dans leur pays.

Il est donc primordial d’anticiper la fin de vie du brevet. Et c’est là que la marque et le savoir-faire revêtent une importance stratégique. 

Contrairement au brevet, la marque peut-être indéfiniment renouvelée. Elle peut donc être un moyen de maintenir l’avantage concurrentiel obtenu pendant la durée de vie du brevet, comme un gage d’identification de la provenance des produits, de qualité et de savoir-faire.

De la même manière, le savoir-faire peut être protégé sans limite de durée s’il est tenu secret. Cela nécessite de mettre en place une vraie stratégie du secret.

Il ne faut pas négliger non plus les dessins et modèles pour protéger la forme sous laquelle le produit est vendu.

Le cercle vertueux de la propriété intellectuelle : quelle est votre conclusion ?

Une stratégie de propriété intellectuelle bien pensée est créatrice de valeur et permet de saisir les opportunités en donnant toute leur valeur aux innovations. 

Contrairement à l’image préconçue qu’on peut avoir des titres de propriété industrielle qui sont perçus comme des monopoles capitalistiques, ces droits peuvent servir à créer un modèle vertueux de développement durable dans des pays particulièrement touchés et on voit bien qu’une bonne stratégie de protection de la propriété intellectuelle peut permettre de garder le contrôle de sa technologie et d’accélérer le développement de solutions vertueuses. 

On peut dire que la propriété intellectuelle est un levier d’accélération de la transition vers un monde durable et écoresponsable !

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