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Lois et produits de la nature aux US : Où en sommes-nous ?
Biologie - Chimie

Lois et produits de la nature aux US : Où en sommes-nous ?

Rédigé par Clémentine Eap

Depuis quelques années maintenant, l’obtention de brevets dans le domaine des biotechnologies est devenue de plus en plus compliquée.

Cette situation fait suite aux jugements rendus par la Supreme Court of The United States (la plus haute instance aux Etats-Unis) dans les Affaires « Mayo Collaborative Services, DBA Mayo Medical Laboratories, et al. Versus Prometheus Laboratories Inc. » (20 mars 2012) ; et « Association for Molecular Pathology et al. Versus. Myriad Genetics, Inc., et al. » (13 juin 2013).

Dans la décision « Mayo Collaborative Services, DBA Mayo Medical Laboratories, et al. v. Prometheus Laboratories Inc. », la Cour Suprême a indiqué qu’une méthode ayant pour objet l’administration d’un médicament puis l’adaptation de la dose de traitement en fonction du taux de métabolites de ce médicament dans le sang n’est pas brevetable car elle ne fait que reprendre une relation naturelle (« Law of Nature ») entre la métabolisation naturelle du médicament et le taux de métabolites correspondants dans le sang. Elle a conclu que ce type de procédé n’était pas brevetable “unless they have additional features that provide practical assurance that the processes are genuine applications of those laws rather than drafting efforts designed to monopolize the correlations.

En tentant d’appliquer, et surtout de généraliser cette jurisprudence l’USPTO (United States Patent and Trademark Office) a considéré que les inventions dont le fondement est la corrélation entre un biomarqueur et un état physiologique donné ne sont pas brevetables, car portant sur une « simple loi de la nature ».

Puis, en 2013, la Cour Suprême a conclu dans sa décision « Association for Molecular Pathology et al. v. Myriad Genetics, Inc., et al. » qu’il n’était pas possible de protéger la séquence « naturelle » d’un gène. La Cour Suprême a jugé que “A naturally occurring DNA segment is a product of nature and not patent eligible merely because it has been isolated, but cDNA is patent eligible because it is not naturally occurring.

Bien que la décision Myriad ait été prise dans un contexte très particulier (climat anti-brevets suite à certains abus dans l’obtention de monopoles), elle a été généralisée à tous les brevets portant sur un produit (séquence nucléotidique, peptidique…) existant à l’état naturel. L’USPTO a donc exclu de  la brevetabilité tous les produits naturels en tant que tels.

Ces deux décisions ont évidemment provoqué un raz-de-marée dans le domaine des biotechnologies et ont remis en cause la brevetabilité d’un grand nombre d’inventions.

Les problèmes que nous rencontrons aujourd’hui viennent surtout de la généralisation qui a été faite par l’USPTO pour appliquer ces décisions. Comment généraliser à toute une catégorie d’inventions des décisions prises pour des cas très particuliers ?

Afin d’ « homogénéiser » sa pratique et de fournir une ligne directrice claire à ses Examinateurs, l’USPTO a publié des directives (en 2014) et des exemples (en Juin 2015 et Mai 2016) pour guider l’application de ces décisions.

Ces documents fournissent une « base » pour apprécier la brevetabilité des inventions biotechnologiques. Il en ressort notamment que :

    - un produit strictement identique à un produit naturel n’est pas brevetable ;

            - un produit naturel modifié (par exemple une séquence de gène qui a été modifiée par une méthylation, l’ajout d’un marqueur, une mutation « non-naturelle »…) est brevetable ;

            - une combinaison de produits naturels peut être brevetable si cette combinaison apporte des effets « markedly different » de ceux apportés par ces produits individuellement dans la nature (exemple de la poudre à canon) ;

            - une méthode qui divulgue un lien entre un biomarqueur et un état pathologique donné n’est pas brevetable, mais une méthode qui ne divulgue pas ce lien l’est (méthode d’analyse de biomarqueurs) ;

            - une méthode dans laquelle on identifie des patients via l’expression d’un biomarqueur et où on traite spécifiquement ces patients est brevetable : la combinaison du diagnostic et du traitement permet d’apporter plus qu’une simple loi de la nature car elle permet de mieux identifier et donc traiter ces patients (voir particulièrement l’Exemple N°29 fourni par l’USPTO sur le traitement de la Julitis).   

         - une méthode basée sur une « Loi de la Nature » est brevetable si elle implique des étapes qui ne sont pas « classiques » ou de routine.

Ces exemples nous ont permis d’utiliser une base écrite pour essayer de développer une ligne de défense, mais ne nous ont pas apporté de solution « miracle ».

Nous avons longtemps espéré que la Cour Suprême réviserait sa copie et trouverait une occasion de tempérer son interprétation extrême de la brevetabilité de ce type d’inventions.

Mais cet espoir s’est envolé avec l’Affaire « Ariosa Diagnostic, Inc. V. Sequenom, Inc. » qui avait été discutée dans l’un de nos précédents articles (https://www.plass.com/fr/actualites/refus-de-la-cour-supreme-de-revoir-laffaire-sequenom-vs-ariosa-diagnostics). Pour rappel, Sequenom était titulaire d’un brevet portant sur la détection d’ADN paternel d’origine fœtale dans le sang de la mère. Cette méthode permettait la détection d’anomalies génétiques chez le fœtus sans avoir à recourir à des techniques invasives telles que l’amniocentèse. Il s’agissait donc d’une avancée majeure dans le domaine du diagnostic prénatal. Le brevet avait été annulé par la Cour d’Appel du Circuit Fédéral car portant sur une « Loi de la Nature » exclue de la Brevetabilité. Sequenom a alors demandé une révision de cette décision par la Cour Suprême, mais cette dernière a refusé cette requête, entérinant par la même nos espoirs de revenir rapidement à une situation plus favorable pour les inventions biotechnologiques.

Aujourd’hui, nous devons donc trouver des parades nous permettant de passer au travers des objections de « Produits et Lois de la Nature » (objections soulevées au titre de l’Article 35 U.S.C. 101 – Inventions Brevetables). 

Avec le recul que nous possédons maintenant sur ce sujet, la stratégie qui nous semble la plus viable est d’essayer de rédiger les revendications (ou le cas échéant de les modifier) de façon à coller le plus possible aux revendications considérées comme brevetables dans les Exemples de l’USPTO.

En particulier il peut être intéressant d’envisager :

            - de revendiquer directement la détection d’un biomarqueur plutôt qu’une méthode de diagnostic lorsque le biomarqueur ou la technique de détection du biomarqueur (exemple d’un biomarqueur qui n’était pas connu comme pouvant être détecté dans le sang) sont nouveaux ;

            - d’avoir des revendications combinant le diagnostic et le traitement et d’argumenter sur le fait que cette combinaison permet d’apporter « significantly more » qu’une simple loi de la nature puisqu’elle permet, par exemple, de traiter de manière spécifique et donc plus efficace les patients identifiés.

            - de prévoir des positions de repli avec des moyens de détections non utilisés en « routine » (pourquoi pas une liste de technologies non conventionnelles pour tenter de couvrir plus large qu’une seule technologie?).

Ces stratégies se sont avérées très utiles pour réussir à contrer les objections dites « de 101 » et nous continuons, fort heureusement, à obtenir des brevets sur ce type d’inventions aux US. 

Nous le concédons, cette situation n’est donc toujours pas idéale mais elle n’est pas désespérée ! Nous espérons, par exemple, qu’un changement de législation puisse intervenir dans les prochaines années pour reformuler légèrement l’Article 35 U.S.C. 101 et ainsi tenter d’assouplir l’interprétation qui en est maintenant faite.

Bref, affaire à suivre…

Pour consulter les « Examples » fournis par l’USPTO, voir :

https://www.uspto.gov/sites/default/files/documents/mdc_examples_nature-based_products.pdf pour les « Produits de la Nature » et

https://www.uspto.gov/sites/default/files/documents/ieg-may-2016-ex.pdf pour les « Lois de la Nature »

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