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Vers un changement d’approche pour le traitement des inventions informatiques à l’INPI ?
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Arrêt Bull : Vers un changement d’approche pour le traitement des inventions informatiques à l’INPI ?

Rédigé par Bruno Loubet

Arrêt du 11 janvier 2023 pourvoi Z 20-10.935 - Décision n° 10041 F

La Cour de Cassation a rendu, le 11 janvier 2023, un arrêt confirmant l’annulation d’une décision du directeur de l’INPI. Cet arrêt retient l’approche du traitement des inventions dans le domaine informatique utilisée par l’Office Européen des Brevets, au détriment de celle prévalant actuellement à l’INPI.

La brevetabilité des inventions informatiques, une question épineuse…

Les inventions informatiques, ou inventions mises en œuvre par ordinateur, posent des questions spécifiques. En effet, le Code de la Propriété comme la Convention sur le Brevet Européen disposent que les programmes d’ordinateurs et les méthodes mathématiques ne sont pas considérés, en tant que tels, comme des inventions.

La question des conditions sous lesquelles des méthodes et programmes informatiques peuvent être regardées comme des inventions brevetables dépend donc de l’approche retenue pour déterminer s’il s’agit ou non uniquement de programmes d’ordinateur ou méthodes mathématiques « en tant que tel ».

… jusqu’ici traitée de manière différente devant l’INPI et l’OEB…

L’approche retenue de longue date par l’Office Européen des Brevets, dite « approche Hitachi », consiste :

  • dans un premier temps, à considérer une méthode, ou un programme d’ordinateur visés par une revendication, comme une invention, à partir du moment où la revendication fait intervenir un dispositif physique tel qu’un ordinateur ;
  • puis à ne retenir que les caractéristiques techniques résolvant un problème technique de la revendication dans l’examen de l’activité inventive.

L’une des motivations ayant conduit l’OEB à adopter cette approche est qu’elle permet de délimiter ce qui forme ou pas une invention indépendamment de l’état et du niveau de banalité de l’invention. Le caractère technique du problème résolu par l’invention est alors pris en compte lors de l’évaluation de l’activité inventive.

Ainsi, la présence d’un seul élément matériel, tel qu’un processeur ou un ordinateur, est suffisant dans l’approche « Hitachi » pour considérer qu’une revendication porte sur une invention.

L’approche de l’INPI, telle que reflétée par les directives d’examen actuellement en vigueur, est différente, puisqu’elle estime que, pour être considérée comme portant sur une invention, une revendication doit « apporter une solution présentant des caractéristiques techniques à un problème technique ». 

Ainsi cette vérification de du caractère technique du problème résolu par la solution visée par une revendication :

  • se faisait jusqu’ici par l’INPI d’emblée, pour savoir s’il y a invention, 
  • alors qu’elle s’effectue au stade du contrôle de l’existence d’une activité inventive dans le cadre de l’approche Hitachi retenue par l’OEB.

…l’approche européenne de l’OEB étant retenue par la Cour de Cassation !

Dans l’affaire en cause, le directeur de l’INPI a rejeté la demande de brevet n° FR3052274 déposée par la société Bull, portant sur un terminal pour l'établissement de communications comprenant un microprocesseur, des moyens de stockage tels qu'un disque dur ou une carte mémoire, une interface de communication et un écran.

L'invention alléguée se situe dans le domaine des dispositifs de communication utilisés sur les théâtres d'opération militaire, et propose un mode de visualisation globale des combattants investis dans une offensive palliant le problème de l'état de la technique antérieur dans lequel les combattants sont dotés de systèmes ne permettant d'afficher les informations que combattant par combattant ce qui en situation de stress rend difficile la mémorisation et l’analyse de ces données pour se faire soi-même une image de l’ensemble.

En substance, le directeur de l’INPI estimait que la demande de brevet résolvait un problème non technique, d’ordre purement intellectuel, et que l’utilisation de moyens de traitement de données ou de calculs usuels non spécifiques ne suffit pas à conférer à l’objet de la demande un caractère technique. Sur ce motif, l’INPI avait rejeté la demande et refusé l’établissement d’un rapport de recherche.

La Cour d’Appel de Paris a annulé la décision du directeur de l’INPI, par un arrêt du 22 novembre 2019 que la Cour de Cassation vient de confirmer par son arrêt du 11 janvier 2023. La Cour d’Appel de Paris a notamment considéré que l’utilisation de moyens techniques tels que des processeurs, moyens de stockage, interface de communication et écran était de nature à conférer à une méthode un caractère technique, cette méthode étant donc une invention.

En ce sens, les arrêts de la Cour d’Appel de Paris et de la Cour de Cassation retiennent l’approche Hitachi en vigueur à l’OEB pour l’évaluation du caractère technique des inventions dans le domaine de l’informatique, au dépens de l’approche telle qu’actuellement définie dans les directives d’examen de l’INPI.

La Cour a par ailleurs estimé que le problème qui avait été résolu par l’invention n’était pas celui de la mémorisation en situation de stress, mais celui de la « visualisation globale d’une situation ». Autrement dit il y avait bien une solution technique à un problème technique et non pas uniquement une réponse à un problème cognitif (le stress).

Il est donc possible que l’INPI modifie, à la suite de cet arrêt de la Cour de Cassation, son approche des inventions dans le domaine informatique pour adopter l’approche « Hitachi » de l’OEB. Cette possibilité est renforcée par le fait que les examinateurs de l’INPI disposent, depuis l’entrée en vigueur de la loi « PACTE », de la possibilité d’examiner l’activité inventive des demandes de brevet, et sont donc désormais en mesure de prendre en compte le caractère technique d’une revendication et du problème résolu lors de l’évaluation de l’activité inventive.

Un tel changement d’approche de l’INPI est susceptible d’impacter de manière concrète les procédures auprès de l’INPI pour les déposants. Par exemple, la mention d’un processeur ou d’un ordinateur dans une revendication deviendrait ainsi une condition suffisante pour considérer qu’une revendication porte sur une invention, ce motif ne pouvant alors plus justifier l’absence de fourniture d’un rapport de recherche ou le rejet d’une demande de certificat d’utilité.

Il convient de noter que la Cour de Cassation a rendu le même jour un arrêt dans une seconde affaire (n° 19-19.567) relative aux inventions mise en œuvre par ordinateur.

Les juges ont ici cassé un arrêt de la Cour d’Appel de Paris attribuant un caractère technique à une revendication, non du fait de la présence de moyens techniques du domaine de l’informatique, mais au simple constat d’un agencement spécifique d’une présentation d’informations permettant à un pilote de sélectionner des informations considérées comme les plus pertinentes.

Le reproche juridique soulevé ici est l’absence de justification :

  • de l'existence d'une contribution technique apportée par la demande de brevet,
  • du caractère technique des moyens de l’invention, (et notamment en quoi pouvaient-ils se distinguer d’une simple présentation d’informations non brevetable).

Ces deux appels rendus le même jour soulignent les spécificités des demandes de brevet dans le domaine de l’informatique, et la subtilité du choix des meilleurs arguments pour défendre ces demandes.

Les experts de Plasseraud IP possèdent une solide expérience dans ce domaine et restent à votre disposition pour vous conseiller pour défendre au mieux vos inventions mises en œuvre par ordinateur.

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