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L’OEB confirme son approche quant à la brevetabilité des réseaux de neurones : sans démonstration concrète d’un effet technique, point de salut
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L’OEB confirme son approche quant à la brevetabilité des réseaux de neurones : sans démonstration concrète d’un effet technique, point de salut

Rédigé par Bruno Loubet

La Chambre de Recours 3.5.06 de l’OEB a rendu, le 7 novembre 2022, une décision (Décision T0702/20) confirmant le rejet de la demande de brevet n° EP14882049.1 portant sur des réseaux de neurones lâches. Il s’agit d’une des premières décisions de l’OEB portant sur une invention concernant le cœur d’un algorithme d’Intelligence Artificielle (IA), sans restriction à une application particulière. A ce titre, il est intéressant d’étudier quelle a été l’approche retenue par la chambre de recours quant à la brevetabilité de cette invention.

Un cadre général plus favorable aux inventions d’IA appliquées qu’aux inventions dites de cœur à l’OEB

Les inventions d’IA sont généralement classifiées en inventions d’IA « appliquées », pour celles utilisant l’IA afin de résoudre un problème dans un domaine technique particulier, ou en invention d’IA « de cœur » lorsqu’elles concernent les algorithmes en tant que tels, indépendamment du domaine technique auquel ils sont appliqués.

L’approche générale de l’OEB concernant les inventions mises en œuvre par ordinateur, et notamment les inventions d’IA, consiste :

  • dans une première étape, à considérer une méthode, ou un programme d’ordinateur visés par une revendication, comme une invention, à partir du moment où la revendication fait intervenir un dispositif physique tel qu’un ordinateur (caractérisation de l’existence d’un caractère technique « any hardware »);
  • puis, dans une seconde étape, à ne retenir que les caractéristiques qui contribuent au caractère technique de l’invention revendiquée dans l’examen de l’activité inventive (vérification que ledit caractère technique participe de cette activité inventive – Approche dite Comvik T 641/00 ). 

Les inventions d’IA sont généralement basées sur des objets mathématiques complexes tels que les réseaux de neurones, qui ne sont pris en considération par l’OEB pour l’évaluation de l’activité inventive que dans la mesure où ils contribuent à la résolution d’un problème technique.

Cette condition est souvent remplie dans le cas d’inventions d’IA appliquée, notamment si les entrées et sorties des algorithmes d’intelligence artificielle sont physiques. Par exemple, un réseau de neurones appliqué à la classification d’images sera généralement considéré comme résolvant un problème technique celui-ci étant clairement spécifié. Au contraire, il est plus difficile de mettre en évidence l’effet technique produit par une invention IA de cœur (par définition généraliste) faute d’identification d’une application spécifique, comme vient le rappeler la décision discutée ici.

L’invention : un réseau de neurones lâche ayant pour but de réduire les ressources nécessaires à l’apprentissage

L’invention en cause portait sur un réseau de neurones implémenté par ordinateur dit « lâche », c’est-à-dire comprenant une densité de lien relativement faible entre neurones de deux couches successives. Elle ne spécifie en revanche aucune utilisation, données d’entrée ou architecture matérielle spécifique du réseau de neurones.

La chambre de recours considère bien ici que les revendications portent sur une invention, car le réseau de neurones est implémenté par ordinateur (1ere étape).

Concernant l’activité inventive (seconde étape), le demandeur a notamment mis en avant le fait que l’architecture du réseau de neurones est une technique de régularisation empêchant le surapprentissage du réseau de neurones lors de l’entraînement, et réduit les ressources de calcul et les besoins de stockages du réseau de neurones par rapport à un réseau de neurones dit « entièrement connecté » dans lequel tous les neurones d’une couche sont liés à tous ceux de la couche suivante, permettant ainsi l’implémentation du réseau de neurones sur des dispositifs compacts.

Mais une finalité technique ne se reflétant pas dans les revendications

La Chambre n’est pas convaincue par les arguments du demandeur, et a notamment estimé que :

  • un réseau de neurones reste fondamentalement une fonction mathématique, et qu’il n’est en apparence imprédictible que du fait de sa complexité (point 16.1 de la décision). Si la Chambre ne doute pas qu’un réseau de neurones puisse résoudre un problème technique, cela nécessite la plupart du temps de définir les données d’entraînement et la tâche technique effectuée. En tout état de cause, le réseau de neurones doit résoudre un problème technique sur l’ensemble de la portée de la revendication (point 20) ;
  • la revendication ne définit aucune implémentation matérielle spécifique, et les dispositifs compacts mentionnés par le demandeur ne se retrouvent ni dans la revendication ni dans la description (point 13.1) ;
  • si le réseau de neurones visé par l’invention permet bien un gain de stockage par rapport à un réseau de neurones entièrement connecté, ces deux types de réseau n’ont pas les mêmes capacités d’apprentissage, ce qui rend la comparaison incomplète (point 14.1), et ne permet par exemple pas d’affirmer que la solution proposée fournit un bénéfice allant au-delà de la simple réduction de besoins de stockage, par exemple un « bon » compromis entre les besoins de calcul et la capacité d’apprentissage (point 21). La chambre estime également que le demandeur ne justifie pas son affirmation selon laquelle l’invention prévient le surapprentissage (point 21.1).

La décision T0702/20 ne remet ainsi pas en cause la possibilité de protéger des inventions d’IA de cœur, mais confirme que l’OEB maintient les standards les plus élevés quant à l’appréciation de la contribution au caractère technique, notamment lorsqu’un réseau de neurones n’est pas restreint à une application ou à des données d’entrées spécifiques.

Si des performances, économies de ressources ou adaptation à des architectures matérielles peuvent être mises en avant, ces points doivent pouvoir être démontrés sur l’ensemble de la portée des revendications, notamment au moyen d’exemples comparatifs. Les déposants doivent donc apporter le plus grand soin à la rédaction de demandes de brevet portant sur de telles inventions.

Ils y sont d’ailleurs clairement invités par la Chambre dès lors que l’on relève dans ses remarques finales (points 21 à 21.2) que, même en partant du principe que les méthodes d’apprentissage et réseaux de neurones, en général, ne seraient pas exclus de la brevetabilité, le bénéfice technique apporté  par l’architecture de réseaux de neurones de l’invention resterait discutable, et la Chambre aurait été contrainte de reconnaitre l’absence d’une activité inventive en raison des éléments qui lui ont été soumis, ou plutôt de ce qu’il y manquait:

  • « la requérante a affirmé que la nouvelle structure évitait le surapprentissage, mais n'a pas justifié cette affirmation »
  • « le Chambre ne voit pas…., compte tenu du contenu de la demande, pour quel type de tâches d'apprentissage la structure proposée peut être utile, et dans quelle mesure ».

Les experts de Plasseraud IP possèdent une solide expérience dans ce domaine et restent à votre disposition pour vous conseiller, caractériser et défendre au mieux vos inventions dans le domaine de l’intelligence artificielle.

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