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Brexit, quels impacts sur les Droits de Propriété Intellectuelle ?
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Brexit, quels impacts sur les Droits de Propriété Intellectuelle ?

Rédigé par Sylvie Cazaux

Rédigé par Emilie Artuphel et Sylvie Cazaux

Après la reconnaissance par le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker que le Royaume-Uni et l'Union Européenne (UE) ont effectué des progrès suffisants dans les négociations sur les termes de leur séparation sur trois dossiers considérés comme prioritaires, le Conseil Européen a formellement approuvé le 15 décembre 2017 l'ouverture d'une nouvelle phase de négociations avec le Royaume-Uni, incluant leur future relation commerciale.

Le compte à rebours avant la sortie officielle du Royaume-Uni de l’UE (29 mars 2019) a donc commencé et parmi les sujets d’importance qui devront être négociés, figure la question du sort des droits de Propriété Intellectuelle.

1. Problématiques soulevées par la sortie du Royaume Uni concernant les droits de Propriété Intellectuelle ayant effet au sein de l’UE

En toute logique, les titres de l’UE déposés postérieurement à la mise en œuvre du Brexit n’auront tout simplement pas d’effet au Royaume-Uni. Mais quelles seront les conséquences de la sortie du Royaume-Uni sur les titres déjà déposés et/ou enregistrés ?

En particulier, les titulaires de Marques et/ou de Dessins ou Modèles ayant effet au sein de l’UE s’inquiètent de la protection dont ils bénéficiaient jusqu’alors sur le territoire du Royaume-Uni en tant qu’Etat membre. Qu’adviendra-t-il de ces droits une fois le Brexit effectif ?

Sept scénarii ont été envisagés par le Chartered Institute of Trade Mark Attorneys (CITMA – Association des Conseils en Propriété Industrielle du Royaume-Uni) allant du plus libéral (les droits valables dans l’UE incluraient automatiquement le Royaume-Uni) au plus rigoureux (obligation de convertir les droits de l’UE en droits nationaux, avec nouvel examen), avec des conséquences juridiques et financières plus ou moins importantes pour les titulaires de droits :

- La situation la plus préjudiciable et source d’une grande insécurité juridique serait la perte totale des droits sur le territoire du Royaume-Uni à compter de la mise en œuvre du Brexit. Les titulaires se verraient alors tenus de redéposer des demandes de marques et/ou dessins ou modèles nationaux au Royaume-Uni avec des droits qui commenceraient à courir à compter de ces nouveaux dépôts et le risque que des tiers n’invoquent à leur encontre des droits identiques ou similaires acquis dans l’intervalle.
Une solution aussi radicale ne coïncide pas avec l’approche envisagée dans les négociations. Elle n’est pas non plus dans l’intérêt des Britanniques, qui représentent une part non négligeable des titulaires de ces droits.

 

- Une solution plus raisonnable et favorable consisterait à accorder aux titulaires de droits acquis au sein de l’UE avant la mise en œuvre du Brexit une protection équivalente en conservant l’antériorité et sans rupture de droits.
Il s’agirait d’obtenir la reconnaissance de la marque et/ou du dessin ou modèle valable au sein de l’UE permettant un enregistrement automatique ou selon des modalités à définir au Royaume-Uni tout en conservant la date de dépôt d’origine. Ainsi, plusieurs options peuvent être envisagées : reconnaissance unilatérale de la couverture automatique du Royaume-Uni par les marques de l’UE antérieures au Brexit (scénario dit Jersey), chargement automatique des marques de l’UE antérieures au Brexit dans le registre britannique des marques, avec conservation de leurs données de priorité, d’ancienneté (scénario dit Monténégro), chargement optionnel, donc au choix des déposants de ces marques dans ce registre (scénario dit Tuvalu).

S’il est fort probable qu’un dispositif de transformation/confirmation des droits antérieurs sera mis en place, ses possibles modalités et conséquences financières et juridiques sont donc variables.

Cette question de la conservation de l’antériorité des droits, ainsi que celle des coûts qu’impliqueraient les démarches à prévoir pour maintenir une équivalence des droits sont au cœur des préoccupations mais ne sont pas les seules problématiques juridiques liées à ces droits et engendrées par le Brexit.

En effet, le Brexit soulève également des interrogations concernant les contrats et accords portant sur des droits de Propriété Intellectuelle dont la portée géographique couvre l’UE.

Quels seront les effets de ces accords au sein du Royaume-Uni après la mise en œuvre du Brexit ? Cette question peut toucher tous types d’accords (contrat de franchise contrat de distribution, licence, accord de coexistence…)

Un autre point de préoccupation de la mise en œuvre du Brexit concerne la théorie de l’épuisement des droits et le statut des marchandises mises sur le marché pour la première fois sur le territoire du Royaume-Uni par le titulaire ou avec son consentement. A l’heure actuelle, les marchandises introduites ou fabriquées licitement dans l’UE et l’Espace Economique Européen (EEE) sont libres de circuler. Cet épuisement ne s’appliquant pas aux marchandises dont la première mise en circulation a été effectuée en dehors de l’UE, comment seront traités les produits commercialisés pour la première fois au Royaume-Uni, et ce même avant la date effective du Brexit ?

Et quels impacts sur la protection des données personnelles ? Le nouveau Règlement Général de Protection des Données (RGPD) n° 2016/679 qui est d’application directe dans tous les pays membres de l’UE ne s’appliquera pas à terme au Royaume-Uni. Par conséquent, le Royaume-Uni devra se confronter aux mêmes contraintes que n’importe quel autre pays hors UE, s’agissant des transferts de données personnelles. Le Royaume-Uni sera notamment tenu de démontrer un niveau de protection des données équivalent au RGPD prenant effet à partir de 2018.

Il ne s’agit là que d’un aperçu des nombreuses questions soulevées par le Brexit en matière de Propriété Intellectuelle.

2. La position de la Commission Européenne:

Le point de vue de la Commission Européenne est résumé dans le « Position Paper » de Septembre dernier, largement en faveur de l’équivalence des droits (6 Septembre 2017 TF50 (2017) 11 – Commission to EU 27).

Selon la Commission, l'accord de retrait du Royaume-Uni devrait garantir que :

1- La protection dont jouissent au Royaume-Uni, sur la base du droit de l'Union, les titulaires de droits de Propriété Intellectuelle ayant un caractère unitaire dans l'UE avant la date de retrait ne doit pas être compromise par la sortie du Royaume-Uni.
Les titulaires des droits de PI unitaires devraient se voir accorder au Royaume-Uni un droit « comparable ». Ceci vaut également pour les indications géographiques de l’UE (le Royaume-Uni n’ayant pas de législation nationale à cet effet, un texte devrait être adopté) ou pour les dessins et modèles non enregistrés.
La Commission se positionne par ailleurs en faveur d’un système de reconnaissance automatique des droits, sans coût pour les titulaires et en leur évitant autant que faire se peut des formalités administratives (se rapprochant donc du scénario Monténégro évoqué ci-dessus). A noter toutefois que cette hypothèse représente une gageure technique pour la base de l’Office britannique qui verra se déverser les données de plus d’un million de marques en même temps… Ce système devrait par ailleurs prendre en compte des problématiques spécifiques, notamment celles de l’obligation d’usage des marques, ou des marques jouissant d’une renommée dans une partie de l’UE, afin d’assurer une continuité de traitement de ces questions au moins pendant une période transitoire.

2- Les droits liés à la procédure (ex : le droit de priorité) relatifs à une demande de droit de Propriété Intellectuelle à caractère unitaire au sein de l'Union, encore pendants à la date de retrait, ne doivent pas être perdus lors de la demande d'un droit de Propriété Intellectuelle équivalent au Royaume-Uni ;

3- Les demandes de certificats complémentaires de protection ou d'extension de leur durée au Royaume-Uni en cours avant la date de retrait doivent être prises en compte, être traitées selon les conditions prévues par le droit de l'Union et accorder une protection équivalente à celle de ce droit ;

4- Les bases de données protégées dans les 27 Etats membres et au Royaume-Uni avant la date de retrait doivent continuer d'être protégées après cette date dans les conditions prévues par l’Union et,

5- L'épuisement dans l'Union des droits de Propriété Intellectuelle avant la date de retrait ne doit pas être affecté par la sortie du Royaume-Uni de l'UE. En d’autres termes, les droits resteront épuisés par une première mise sur le marché au Royaume-Uni avant la date de sortie.

Cette prise de position a reçu un accueil assez favorable des différentes instances professionnelles.

3. Nos recommandations

A l’heure actuelle, de nombreuses questions se posent et aucune n’a réellement de réponse, alors qu’elles touchent à la fois des grands principes généraux mais également des points juridiques techniques qui découleront des options prises.

Il est vraisemblable que le calendrier des discussions va maintenant s’accélérer compte tenu du début des négociations commerciales.

Sans faire preuve d’alarmisme exagéré, face aux incertitudes quant au sort des droits de Propriété Intellectuelle impactés par le Brexit et aux questions laissées en suspens, nous ne saurions que recommander d’anticiper autant que possible les éventuelles conséquences négatives du Brexit en prenant d’ores et déjà des mesures préventives visant à sécuriser les droits au Royaume-Uni.

De telles mesures sont d’autant plus conseillées aux titulaires de droits du Royaume-Uni ou de l’UE ayant des intérêts stratégiques et commerciaux importants au Royaume-Uni.

Ces mesures passent avant tout par la conduite d’un audit complet de portefeuille pour identifier les droits que la mise en œuvre du Brexit pourrait venir remettre en cause en partie, à savoir les droits acquis auprès des instances de l’UE ou les titres internationaux désignant l’UE (marques, dessins ou modèles et/ou indications géographiques).

Une fois ces droits identifiés, il conviendra d’étudier au cas par cas d’éventuelles solutions de sécurisation au travers, par exemple, de nouveaux dépôts au Royaume-Uni pour les titres de l’UE les plus stratégiques (ou de renouvellement des marques nationales britanniques même si leur ancienneté a été revendiquée au sein d’un titre de l’UE). Une attention particulière devrait dans ce cadre être portée aux droits en cours d’acquisition faisant l’objet de procédures, notamment d’opposition (ces procédures pouvant être suspendues pour de longues périodes, elles pourraient être réactivées après la date de sortie).

Concernant l’usage des marques, notre recommandation est d’identifier, parmi les marques ayant été relevées dans le cadre de l’audit ci-dessus, celles qui ne seraient pas utilisées au Royaume-Uni afin que la marque de l’UE qui ne serait pas utilisée au Royaume-Uni, le soit très rapidement et d’éviter ainsi, après la probable transformation au Royaume-Uni des titres, des actions en déchéance pour non usage.

Cette question a son pendant, à propos de marques de l’UE qui ne seraient utilisées qu’au Royaume-Uni.

Nous recommandons également de réaliser un audit des contrats et/ou accords couvrant géographiquement le Royaume-Uni et/ou l’UE pour déterminer la nécessité (et faisabilité selon le contexte) de conclure des avenants pour clarifier la situation et faire perdurer ou non les effets du contrat au sein du Royaume-Uni après le Brexit. De même, tout accord en cours de discussion ayant une portée européenne devrait intégrer la situation spécifique du Royaume-Uni et spécifier qu’il est également valable dans ce pays (ou mentionner qu’il s’applique à tous les territoires membres de l’UE au jour de la signature).

Ces études préalables et personnalisées selon la situation juridique et commerciale de chacun sont nécessaires pour faire un état des lieux serein et être prêt au moment où les choix politiques seront connus et leurs conséquences plus clairement définies.

Un accord de retrait avec le Royaume-Uni, approuvé par les Etats membres devra être trouvé avant octobre 2018, échéance fixée par le négociateur en chef de l’UE sur le Brexit, Michel Barnier.  L’accord sera ensuite soumis au vote du Parlement Européen en séance plénière. Il est censé être conclu avant les prochaines élections européennes, et avant la date du 29 mars 2019.

 

Trois hypothèses sont envisageables :

1/ La sortie effective du Royaume-Uni est décidée après l’approbation du Parlement européen et le vote du Conseil de l’UE à la majorité qualifiée ;)
2/ Le délai de deux ans est prorogé après un vote du Conseil européen à l’unanimité et en accord avec les autorités britanniques ;
3/ Aucun accord n’est trouvé. Rien n’est prévu à ce stade dans les textes. Le Royaume-Uni devient un Etat tiers.

 

A l’heure actuelle semble se confirmer le souhait du Royaume-Uni de bénéficier d’une période transitoire de deux ans post-Brexit mais son principe, ses contours et conséquences restent à définir.

 

To be continued…

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