Articles

Encadrement légal du droit de visite de l’ancien article 60 du Code des Douanes
Anti-contrefaçon

Encadrement légal du droit de visite de l’ancien article 60 du Code des Douanes

En septembre 2022 le Conseil Constitutionnel1 a abrogé l’article 60 du code des douanes.

Moins d’un an plus tard, la Loi du 18 juillet 20232 est venue répondre à l’inconstitutionnalité de ce texte.

Cette refonte législative signifie-t-elle la fin d’une prérogative particulière en droit douanier, à savoir le droit de visite des agents des douanes ou n’est-elle qu’un simple aménagement de cette dernière ?

Quelle que soit la réponse à cette question, ce texte aura un impact en matière de lutte contre la fraude et donc de la contrefaçon. 

1 - Article 60 code des douanes, un article sanctionné

Sous son ancienne rédaction, ce texte lapidaire précisait que « Pour l'application des dispositions du présent code et en vue de la recherche de la fraude, les agents des douanes peuvent procéder à la visite des marchandises et des moyens de transport et à celle des personnes ».

Considéré comme la pierre angulaire de l’action des agents dans leur mission de lutte contre les trafics, la criminalité organisée et le financement du terrorisme, il était toutefois régulièrement contesté par les avocat des « visités» pour la généralité de sa terminologie entrant directement en conflit notamment avec la liberté d’aller et venir.

Bien avant cette décision d’abrogation du Conseil Constitutionnel, la jurisprudence s’était déjà chargée de limiter les contours de ce droit dont l’usage était jugé très large car non restreint dans le temps et l’espace.

Si, initialement, la chambre criminelle de la Cour de Cassation avait jugé que les contrôles pouvaient être effectués « sans relever l’existence préalable d’indice laissant présumer la commission d’une infraction »3, sa jurisprudence s’était au fil des ans durcie.

Ainsi en 20194 il avait été jugé que les agents ne « disposent  pas d’un pouvoir général d’audition de la personne contrôlée » et en 20205 la Cour de Cassation  précisait  que « dans le cadre de l’article 60, les pouvoirs des agents se limitent donc aux strictes opérations de visite, qui comprennent le contrôle de la marchandise, du moyen de transport ou de la personne, la consignation dans un procès-verbal, des constatations faites et renseignements recueillis, ainsi que les saisies et la rédaction du procès-verbal afférent ».

Dans un arrêt récent de 20226, la Cour de cassation rappela les nombreuses garanties apportées peu à peu par la jurisprudence pour encadrer l’application de cet article :

  • Le droit de visite ne peut s’exercer que le temps strictement nécessaire à la réalisation des opérations de visite, qui comprennent le contrôle des marchandises, du moyen de transport ou de la personne, la consignation dans un PV, des constatations faites et renseignements recueillis ainsi que le cas échéant les saisies et la rédaction du procès-verbal afférent.
  • Si les douaniers peuvent recueillir des déclarations en vue de la reconnaissance des objets découverts, ils ne disposent pas d’un pouvoir général d’audition de la personne contrôlée.
  • Les agents des douanes ne sont pas autorisés à procéder à la visite d’un véhicule stationné sur la voie publique ou dans un lieu accessible au public libre de tout occupant.
  • La visite des personnes qui peut consister en la palpation ou la fouille de leurs vêtements et de leurs bagages ne saurait inclure une fouille à corps, impliquant le retrait des vêtements.
  • Les agents peuvent appréhender matériellement les indices recueillis lors du contrôle mais à la condition de procéder à leur inventaire immédiat de s’abstenir de tout acte d’investigation les concernant, de les transmettre dans les meilleurs délais à l’officier de PJ compétent pour qu’il procède à leur saisie et à leur placement sous scellés et de s’assurer dans l’intervalle qu’ils ne puissent faire l’objet d’aucune atteinte à leur intégrité.
  • La personne concernée par le contrôle si elle fait l’objet de poursuites, dispose de la faculté de faire valoir par voie d’exception la nullité de ces opérations.

Cependant malgré cette construction jurisprudentielle, le péché originel anti libertaire demeurait.

2 - Abrogation de l’article 60 code des douanes : un droit de visite des agents des douanes redessiné

Dans sa décision n° 2022-1010 QPC du 22 septembre 20227, le Conseil a considéré que cet encadrement jurisprudentiel ne suffisait pas et que la généralité des prérogatives allouées aux agents ne permettait pas « une conciliation équilibrée entre, d’une part, la recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, la liberté d’aller et de venir et le droit au respect de la vie privée ».

Ce faisant, il a abrogé ledit article.

Cependant, comme le souligne la Réponse ministérielle apportée en séance publique le 18/01/2023 « compte-tenu des conséquences manifestement excessives qu'aurait entraîné une déclaration immédiate d'inconstitutionnalité de ce droit de visite, il a reporté au 1er septembre 2023 la date d'effet de sa décision » accordant ainsi un délai au législateur pour créer les nouvelles conditions d’applicabilité de ce droit, se devant d’intégrer le respect des libertés.

Nombre de douaniers ont été heurtés par cette décision soudaine et irrémédiable et sont intervenus auprès des parlementaires pour faire avancer les débats.

Schématiquement il y avait le clan des défenseurs de moyens larges permettant une lutte efficace contre les infractions, versus la protection des libertés.

Deux motifs hautement valables, mais en opposition.

C’est ainsi que dans l’urgence le législateur a imaginé un nouveau cadre d’action des douanes.

Le nouveau texte a deux objectifs :

  1. Définir le cadre législatif du contrôle des marchandises, des moyens de transports et des personnes
  2. Adapter la capacité d’action des agents aux réalités numériques et aux évolutions des stratégies criminelles dans le champ des fraudes douanières conformément aux priorités opérationnelles qui leur sont fixées.

Dans le cadre de cet article nous nous intéresserons uniquement à ce qu’il reste de ce droit de visite, au regard notamment de la lutte contre les contrefaçons.

Le droit de visite n’a pas complétement disparu mais a été redessiné afin de concilier l’objectif de la recherche d’auteurs d’infractions douanières avec la liberté d’aller et de venir ainsi que le droit au respect de la vie privée.  Aussi, ce court article 60 (dont la généralité a été considérée coupable) a-t-il été remplacé par onze autres dans sa nouvelle version (articles 60 à 60-10).

  • Instauration d’une limite géographique :

Le droit de visite demeurera plein et entier en zone frontière et dans la zone géographique du « rayon des douanes », soit un rayon de 40 km à l’intérieur du territoire au-delà de la bande frontière (alors que les agents auraient souhaité que soit maintenu le rayon de 60 km), ainsi que dans les ports, aéroports, gares ferroviaires et routières internationales8.

Une telle modification, réduit de manière importante la zone terrestre du rayon d’intervention des douanes, au regard de ce qu'elle représente aujourd'hui.

En dehors de ces lieux, le droit de visite doit être motivé et s’effectuer :

  1. soit uniquement en cas de raisons plausibles de soupçonner une infraction douanière9,
  2. soit après information10 (et non autorisation) du procureur de la République pour la recherche de certaines infractions graves (armes, stupéfiants, contrefaçons...) expressément listées. Cependant ce dernier pourrait s’y opposer.
  • Limite dans le temps11: dans un même lieu limite à 12h, afin de ne pas permettre des contrôles douaniers 24h/24
  • Limite du droit à la fouille : le cadre du droit de fouille des personnes est aussi précisé12, notamment pour intégrer la jurisprudence de la Cour de cassation : palpation et fouille des vêtement et bagages, interdiction des fouilles à corps, maintien à disposition des personnes limité au strict nécessaire...

Ainsi est maintenue la capacité de réaliser des contrôles douaniers à l’intérieur du territoire, ce qui demeure essentiel pour entraver les trafics qui le traversent.

Les garanties en matière de droits des personnes qui avaient déjà été apportées au droit de visite par la jurisprudence judiciaire sont codifiées. 

Cependant pour certains les nouvelles règles instaurées entravent trop fortement l’action de la Douane. 

L’application dans le temps de ces dispositions nous éclairera sur ce qui reste effectivement du droit de visite des agents des douanes et sur l’impact de ce texte quant à l’efficacité de leur contrôle.


1Décision n°2022-2010 du 22 septembre 2022

2Loi n° 2023-610 du 18 juillet 2023 

3Arrêt Cass. Crim. 23 mars 1992 91-33.775

4Arrêt Cass. Crim. 13 juin 2019 n°18-83.297

5Arrêt 18 mars 2020 n°19-84.272

6Arrêt 22 juin 2022 n°22-90.008

7Voir note 2

8Art.60-1 code des douanes 

9Article 60-2

10Article 60-3

11Article 60-5

12Article 60-6

Partager sur :