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Plasseraud IP La protection des créations culinaires par le Droit de la Propriété Intellectuelle
Marques & Modèles - Brevets

La protection des créations culinaires par le droit de la propriété intellectuelle

Newsletter Octobre 2019
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Les créations culinaires relèvent d’une tradition française qui s’inscrit profondément dans la culture du pays et dans son histoire. La France a été, et est toujours aujourd’hui, renommée internationalement pour sa cuisine, la variété et la richesse de celle-ci, spécialement pour sa pâtisserie. 

Assurer une protection pour ces créations constitue donc un enjeu majeur tant pour le patrimoine de la France que pour son économie.
La propriété intellectuelle peut être efficacement utilisée pour assurer cette protection, non sur l’ensemble d’une création, mais sur certaines caractéristiques de ces créations, la recette (I), son nom (II) et enfin son aspect esthétique (III).

I. La protection des créations culinaires : recette de la création

Plasseraud IP Protection des créations culinaires
© Copyright – Sophie Gassmann

Une recette de cuisine, rédigée à l’écrit, peut être une œuvre de l’esprit protégeable par le droit d’auteur mais ne sera protégée à ce titre que pour sa représentation. Toutefois, cette protection ne portera que sur l’œuvre littéraire elle-même et non pas sur la recette en tant que telle. Il faudra pour cela se tourner vers le droit des brevets.

Une recette de cuisine, appréhendée sur un plan technique, est fondamentalement un procédé qui consiste à combiner des ingrédients comestibles selon certaines règles, éventuellement à chauffer et/ou refroidir certains de ces ingrédients avant ou pendant ce processus de combinaison, afin d’obtenir un produit fini qui est un plat destiné à être consommé par le consommateur. 

Une invention, pour être brevetable, doit être une solution technique à un problème technique. Les créations culinaires doivent, comme toutes les autres inventions, satisfaire à cette exigence. Il faudra donc identifier dans la recette, s’il existe un problème technique résolu par cette recette.  Toutes les créations culinaires ne pourront donc pas faire l’objet d’un dépôt de brevet.
De plus, les créations culinaires doivent être nouvelles et résulter d’une activité inventive. Une recette déjà connue, où dont la création est à la portée évidente de chaque cuisinier, n’est pas une invention brevetable !  
Il est intéressant d’examiner en détail quelques exemples de brevets portant spécifiquement sur des créations culinaires, afin d’étudier quel a été le problème technique posé, et la solution fournie par l’invention. 

Pour commencer votre repas, une bonne soupe :

•    FR 2701815 – Soupe chaude de foie gras à la gelée de poule
Dans ce brevet délivré au nom de Joël Robuchon, il s’agissait de résoudre le problème technique suivant : éviter un mélange du foie gras avec la gelée de poule lorsqu’on chauffe une soupe comportant ces deux ingrédients.
Ce problème est résolu dans l’invention en préparant séparément le foie gras et la gelée de poule avec des ingrédients supplémentaires particuliers, et en les précuisant à une température et pendant un temps choisi, puis en rassemblant ces deux éléments et en les cuisant à basse température pendant un temps choisi. 

Vous pourrez poursuivre avec un plat de poisson :

•    FR 2701814 – Recette à base de sandre et de saumon
Dans ce brevet délivré également au nom de Joël Robuchon, il s’agissait d’élaborer une recette à base de sandre, un poisson de rivière à la chair fine et délicate. La particularité de la sandre est qu’il ne se consomme habituellement que frais, ne s’accommodant pas bien sans perte de saveur de la congélation. L’invention avait donc pour objet de préparer la sandre de façon qu’elle conserve ses propriétés gustatives dans un plat pré-cuisiné apte à être réchauffé avant consommation. 
Le problème technique consistait donc à conserver de façon optimale le goût d’un aliment. 
Ce problème est résolu dans l’invention en enveloppant la sandre dans une mousse de saumon et en précuisant l’ensemble à basse température. 
Dans cet exemple, on note, de façon intéressante, que l’effet technique recherché peut être l’odeur ou la saveur du plat, et que les moyens pour obtenir cet effet peuvent présenter un caractère technique.

Et pour terminer, un dessert glacé :

•    EP1164864 - Dessert glacé dont la couleur change par consommation
Ce brevet, délivré au nom de Nestlé, est tout à fait intéressant.L’invention a pour objet un dessert glacé, tel une sucette glacée (glace sur bâtonnet), qui est constitué d’un cœur glacé recouvert d’un revêtement. 
Il s’agissait de rendre plus attractif pour les consommateurs, spécialement les enfants, un tel dessert qui en soit est banal et qui existe déjà avec une grande diversité de couleurs et de sensation tactile (rugosité par insertion de particules/éclats) du revêtement. 

L’invention consiste à incorporer dans le dessert des zones ou couches qui changent de couleur grâce à l’utilisation dans le revêtement d’une substance imperméable à l’eau dans laquelle est encapsulé un colorant hydrosoluble, et dans lequel la couleur est libérée du revêtement par léchage. 

On a ainsi le cas d’un brevet dans lequel l’effet recherché est esthétique et l’objectif est une attirance du consommateur par cet effet, mais où cet effet est obtenu par des caractéristiques techniques structurelles (film, encapsulation).

Quelle est la validité d’une telle protection à titre de brevet ?

Une consultation de bases de données révèle plus d’une dizaine de litiges portant sur des recettes de cuisine.

L’exigence d’activité inventive est rappelée fréquemment en matière de brevets portant sur des créations culinaires, comme en témoigne le jugement du  Tribunal de Grande Instance de Paris du 8 mars 2011. 

L’objet du litige est le brevet européen EP0795273, délivré en 2001, avec effet en France. Ce brevet porte sur un procédé de préparation d’éclats de fèves de cacao caramélisés, et sur l’utilisation de ces éclats de fèves de cacao dans des produits alimentaires, notamment des tablettes de chocolat. Le problème technique visé par l’invention est la caramélisation d’éclats de fève de cacao afin de leur conférer un goût prononcé de cacao.

La société Nestlé, titulaire de ce brevet, estimant que les tablettes chocolatées de la société Cadbury France contenant des éclats de fèves de cacao caramélisés reproduisaient les caractéristiques de son brevet et a assigné en juillet 2008 la société Cadbury en contrefaçon des revendications 3 et 4 de son brevet. 

La question se posait donc de savoir s’il existe une différence entre du caramel et du sucre caramélisé tel que présent dans la revendication 3. Le tribunal relève que  la notion de sucre caramélisé n’est pas définie dans le brevet Nestlé et considère que le caramel résultant de l’oxydation du sucre sous l’effet de la chaleur, l’homme du métier, qui est un pâtissier, ne peut distinguer le caramel du sucre caramélisé. Le tribunal conclut ainsi au défaut d’activité inventive de la revendication 3, et également de la revendication 4 du brevet Nestlé.

L’entrée en vigueur prochaine de la  Loi Pacte, qui prévoit un examen de l’activité inventive par l’INPI pourra avoir un impact sur la délivrance de ce  type de brevets.

En définitive, la protection des créations culinaires par voie de brevet est tout à fait possible. Cette création suppose toutefois que les critères communs de la brevetabilité soient respectés, essentiellement la définition d’un problème technique et la résolution de ce problème par une solution technique. À défaut, la recette ne pourra être considérée comme une invention brevetable. N’en déplaise aux cuisiniers, amateurs ou professionnels, toutes les créations culinaires, même originales ou surprenantes, ne sont ainsi pas des inventions brevetables !  

II. La protection du nom de la création culinaire

La protection des créations culinaires par le droit des marques n’est pas, loin s’en faut, un objectif dont la réalisation a été recherchée par le législateur.

Ainsi, les marques gustatives ou olfactives, qui pourraient trouver un intérêt évident au regard de la protection d’une création culinaire, ne peuvent pas en pratique être déposées, faute de pouvoir, à ce jour et en dépit de la suppression de l’exigence de représentation graphique à venir du fait de la très prochaine transposition en droit français de la Directive (UE) 2015/2436 , les représenter de manière claire, précise, distincte, facilement accessible, intelligible, durable et objective.

Toutefois, l’usage du droit des marques permet une protection efficace des créations culinaires en ce qui concerne le nom de cette création ainsi qu’au regard de son aspect extérieur. 

La protection du nom de la création peut se faire très efficacement par le dépôt du nom de cette création. Comme toutes les marques, les marques identifiant des créations culinaires doivent notamment être distinctives par rapport aux produits désignés et ne doivent donc pas être uniquement constituées de termes indiquant les produits utilisés dans cette préparation ou le nom de cette préparation.

Ainsi, la Cour d’Appel de Rennes1 a confirmé le rejet de la marque MON HUILE DE HOMARD en considérant que le consommateur, quelles que soient ses connaissances en matière culinaire, devrait percevoir l’expression HUILE DE HOMARD comme évoquant une huile ou un condiment aromatisé au homard ou comportant des éléments de homard, de telle sorte que cette expression devait être considérée comme désignant la composition des produits désignés.
 

Créations culinaires

Quant à l’appréciation de leur distinctivité, l’INPI s’attache à vérifier si la création culinaire dont le nom est déposé ne correspond pas à une recette déjà connue ou une recette rattachée à un terroir ou un territoire particulier2.

Ainsi, la marque LE COURSEULLAIS, déposée pour désigner des  « pâtisseries » a été rejetée au motif qu’elle désignait une pâtisserie connue à Courseulles-Sur-Mer, dans le Calvados, et indiquait en outre la provenance géographique des produits désignés.

De la même façon, la Cour d’Appel de Paris a confirmé le rejet3 de la marque MHAJEB déposée notamment pour des  « crêpes (alimentation) ; galettes feuilletées fourrées ; préparations faites de céréales »  au motif que cette marque constituait la désignation, en langue arabe, d’une spécialité de crêpes algériennes ou marocaines, faites à partir  de semoule et de farine, fourrées et cuites dans un tajine.  La Cour a notamment considéré qu’il n’était pas nécessaire que cette marque soit comprise par le consommateur, mais qu’il suffisait que la recette désignée constitue, dans le langage courant ou professionnel, la désignation nécessaire de la recette concernée. 

Il convient donc, lorsque l’on choisit le nom de sa création, de vérifier que ce nom ne puisse être perçu comme désignant la provenance géographique des produits désignés, et ne constitue pas enfin le nom d’une recette déjà existante.

En d’autres termes, il n’est pas possible de chercher par la marque à s’approprier le nom d’une spécialité culinaire, française ou étrangère, quand bien même elle n’aurait jamais été déposée à titre de marque !

Une fois enregistrée, une marque désignant le nom d’une création culinaire court un risque auquel sont confrontées l’ensemble des marques, mais qui apparaît plus spécifique au regard des marques désignant des recettes ; la déchéance par dégénérescence.

Il est fréquent que le nom de créations culinaires, initialement distinctif, lorsqu’elles rencontrent un certain succès, passe dans le langage courant pour devenir la désignation usuelle de la recette et que ce nom soit communément utilisé pour désigner la création.

Cela a été le cas pour un grand nombre de recettes faisant aujourd’hui partie intégrante du patrimoine culinaire français.

Il en est ainsi du Paris-Brest, un gâteau en forme de roue spécialement créé à l’occasion de la course cycliste Paris-Brest-Paris. Le nom de ce gâteau était parfaitement distinctif lors de sa création, mais du fait de son usage courant, il a perdu cette distinctivité.

Plasseraud IP Recettes culinaires Paris-Brest

Une marque désignant une création culinaire ayant du succès devra donc être défendue pour échapper à la déchéance ; il faudra pour cela s'opposer à tout usage de la marque par des tiers en cas que nom commun d'une spécialité culinaire déterminée.

 

III. La protection de l'aspect esthétique de la création

L’apparence des créations culinaires peut avoir un aspect esthétique particulièrement marqué, et il peut être intéressant de chercher à acquérir une protection sur ce plan pour ces créations.

Comment protéger cet aspect par un titre de propriété industrielle ?

Les créations culinaires peuvent également faire l’objet d’une protection par le biais de dépôt de modèle.

Ces créations doivent à cet égard satisfaire aux conditions de protection des dessins et modèles, la nouveauté (absence de divulgation antérieure identique) et le caractère individuel ou propre (l’impression d’ensemble diffère de celle produite par tout modèle divulgué antérieurement).

Un modèle de tarte aux pommes, déposé par le célèbre Chef cuisinier Alain Passard a légèrement fait évoluer la jurisprudence relative à l'appréciation des antériorités dans l'appréciation de la nouveauté du modèle.

Plasseraud IP Protection des créations culinaires

Son modèle de tarte était caractérisé par la présentation particulière des tranches de pommes, qui apparaissent non pas posées en plat et en cercles concentriques comme dans une tarte aux pommes classique, mais coupées finement et enroulées par groupes afin de former des roses, puis disposées en bouquets sur la tarte. Cette tarte a fait l’objet de quatre dépôts de modèles français.

Dans le cadre d'un contentieux judiciaire, la nouveauté de deux de ces modèles était discutée, notamment sur la base d'une publication d'une recette proche dans un livre de recettes de pâtisserie écrit par une cuisinière amateur américaine, fort connue au Etats-Unis, mais plutôt dans le domaine de la décoration intérieure et de l’art de vivre. 

Le débat portait en fait sur l’accessibilité de la divulgation, issue de photographies de tartes publiées en 2005 dans un magazine et un livre à destination du public américain, pour un professionnel français de la cuisine.

Le Tribunal de Grande instance de Paris4 a considéré que le déposant des modèles, Alain Passard, ne pouvait raisonnablement avoir eu connaissance des publications antérieures destinées à « un secteur d’activité différent » et a rejeté les demandes de nullité formée à l’encontre de ces modèles défaut de nouveauté.

Ce jugement semble ainsi considérer que seule une publication dans un cadre professionnel  devrait pouvoir être pris en considération dans le cadre de l’appréciation de la nouveauté d’un dessin et modèle portant sur une création culinaire, dans la mesure où on ne peut raisonnablement pas demander aux professionnels de la cuisine ou de la pâtisserie de connaître les créations, non pas seulement de leurs concurrents, mais également celles des amateurs du monde entier.

Lorsque les conditions de validité d’un dessin et modèle sont discutables, notamment en cas de divulgation antérieure, il peut être intéressant de procéder à un dépôt de marque bi- ou tri- dimensionnelle dans le but d’acquérir une protection sur l’apparence de la création.

De nombreuses marques identifiant des barres de céréale de forme inhabituelle ou de plaquettes de chocolat ont ainsi, par exemple, été déposées :

 

Créations culinaires

 EUTM n° 011491172     

                                       

Créations culinaires

  EUTM n° 01532865 

Obtenir une protection par la marque pour ce type de produit n’est pas toutefois facile ; il faudra souvent faire face à une objection de l’Office, qui cherchera à démontrer que la forme ne s’éloigne pas suffisamment des habitudes du marché pour constituer une garantie d’origine pour le consommateur.

L’usage intensif de la marque pourra ainsi jouer, ce qui aura par exemple permis l’enregistrement de la marque française n° 4010000, bien connue de nos enfants (décision obtenue par Plasseraud IP). 

Créations culinaires

En définitive, la protection des créations culinaires au regard de la recette, de l’aspect esthétique ou du nom de la création  est à la fois possible et souhaitable, même si l’obtention des titres de propriété industrielle correspondant répond à des exigences spécifiques.

Nos experts, ingénieurs et juristes, sont à votre disposition pour vous assister dans la recherche de la meilleure protection de votre innovation.


1 CA Rennes 23 octobre 2018 SAS GROIX ET NATURE.

2 Nous n'étudierons pas ici les atteintes susceptibles d'être portées aux appellations d'origine ou aux indications géographiques.

3 CA Paris - 25 septembre 2013.

4 3e Chambre, 15 mars 2018, CARREFOUR PROXIMITÉ France/Alain Passard.

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