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Emergence des NFT et nouveaux enjeux pour les artistes

Newsletter Janvier 2022

Emergence des NFT et nouveaux enjeux pour les artistes - de Léonard de Vinci aux Cryptokitties1 

« Merry Christmas », le premier SMS de l’histoire transmis le 3 décembre 1992 par l’opérateur Vodafone a été vendu aux enchères sous forme de Non-fungible Tokens (ou Jetons Non Fongibles) par la célèbre maison de ventes Aguttes fin 2021, pour 107 000€, illustrant parmi de nombreux autres exemples l’importance économique croissante des NFT.

Mieux cerner juridiquement ce nouveau « bien » incorporel, est indispensable afin d’en comprendre les enjeux et de répondre aux questions d’ordre juridique et contractuel qui se posent déjà.

Non Fungible Token - Identification et fonction

NFT : Approche concrète de ce bien virtuel 

Un NFT est un jeton2 numérique unique (non interchangeable avec un autre) et indivisible (il n’est pas morcelable).

Il s’inscrit dans la technologie blockchain, sorte de grand registre mondial décentralisé a priori infalsifiable et immuable, dans lequel seront tracées toutes les transactions relatives audites NFT. 

Les NFT trouvent particulièrement leur place dans le domaine de l’art numérique, où la copie peut en pratique être très aisée, quasiment gratuite et pratiquée à l’infini. 

Les NFT permettent ainsi de réintroduire le concept de rareté dans le monde numérique, via ce lien unique créé entre une œuvre déterminée et un jeton en particulier.

En pratique, un NFT est généré grâce à un « smart contract », c’est-à-dire un programme informatique enregistré dans la blockchain, qui s’exécute de manière automatique lors de chaque transaction dudit NFT. Ce « smart contract », dont les conditions d’exécution sont définies par la personne émettant le NFT, permet de relier l’identifiant unique (le jeton) à l’œuvre qui en est le support, grâce au lien URL qu’il contient. 

L’œuvre et les métadonnées (informations relatives à l’œuvre indiquant son nom et sa description, son auteur, le nombres de versions officielles en circulation, le lien vers l’œuvre) qui y sont attachées sont quant à elles hébergées sur un serveur tiers. 

L’ensemble des transactions de NFT se font au travers de « wallet », l’équivalent d’une galerie personnelle où chaque « collectionneur » expose des œuvres numériques, sur des plateformes comparables à des places de marché3.

NFT : Usage et fonction du fameux jeton

Il est aujourd’hui acquis que le NFT portant sur une œuvre d’art numérique n’est pas l’œuvre en elle-même. 

En l’espèce, trois actifs incorporels sont à prendre en considération : l’œuvre de l’esprit, le support numérique de l’œuvre, et le NFT. 

A l’instar de ce qui se passe dans le monde physique, pour lequel l’article L 111-3 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) énonce que « le support de l’œuvre ne saurait se confondre avec l’œuvre », l’œuvre numérique ne s’assimile pas au fichier qui la contient. Le fichier numérique, bien qu’incorporel, ne doit donc pas être confondu avec son contenu4.

La « tokenisation » de l’œuvre contenue dans un fichier informatique, c’est-à-dire le fait d’y associer un NFT, permet de rendre ce fichier unique (en nombre comme dans ses caractéristiques) en y attachant de manière inaltérable certaines informations essentielles.

La cession d’un NFT n’emporte cependant pas cession des droits de l’auteur sur l’œuvre, dans la mesure où ce qui est échangé n’est pas l’œuvre elle-même, ni son support, mais le jeton unique associé. 

Cette différenciation est confirmée par les conditions d’utilisation des plateformes organisant l’achat et la vente de NFT, chacune précisant en substance que la transaction porte sur des droits limités d’utilisation personnelle, certaines plateformes faisant même référence à des licences non exclusives d’utilisation.

En conséquence, la nature d’un NFT est comparable à celle d’un certificat de garantie d’authenticité du support, ou d’un « reçu de propriété », certificat conférant valeur économique et attractivité au support numérique d’une œuvre, en raison de son caractère non fongible (non interchangeable).

Corrélativement, en l’absence de dispositions spécifiques prévues dans le « smart contract » générateur du NFT, les prérogatives de son propriétaire sont donc très limitées et ne comprennent pas les droits moraux et patrimoniaux attachés à l’œuvre. 

En revanche, lorsque ces prérogatives sont modulées, par le biais des conditions fixées dans le « smart-contract » générateur du NFT, certains artistes peuvent décider que la cession dudit NFT entraine la cession de tout ou partie des droits patrimoniaux portant sur l’œuvre5.

Une fois cette définition posée, les NFT appliqués à l’art soulèvent des questions et des points d’attention quant à l’articulation de leur fonctionnement avec le droit d’auteur.

NFT : incertitudes et points de vigilance en matière de droit d’auteur 

Un nouveau mode d’exploitation à prévoir dans les contrats 

Conformément aux articles L. 131-2 et L. 131-3 du CPI, la cession des droits d’auteurs attachés à une œuvre doit être constatée par écrit et doit être « délimitée quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée ».

Puisque toute œuvre d’art est a priori « tokenisable » il est donc maintenant fortement recommandé d’envisager cette question lors de contrats d’exploitation pour éviter tout débat sur ce point par la suite entre les parties comme l’illustre le litige actuel opposant le réalisateur Quentin Tarantino et la société de production Miramax.

Cette dernière a en effet intenté une action devant les cours américaines, au motif d’une violation de son droit d’auteur par le réalisateur, après que celui-ci a annoncé son intention de commercialiser sous forme de NFT des scènes non utilisées du film Pulp Fiction.

Une évolution de la notion de droit de suite

En matière d’œuvres d’art, le droit de suite permet à l’auteur, ainsi qu’à ses ayants-droits, de bénéficier d’une rémunération suivie dans le temps à l’occasion de la transmission de son œuvre. 

Les articles L122-8 et R122-2 du CPI fixent les conditions d’application du droit de suite en France. Ainsi, pour que le droit de suite trouve à s’appliquer, la transaction doit porter sur une œuvre originale unique ou exécutée en nombre limité, par un professionnel du marché de l’art, sur le territoire français et être assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée. 

Compte-tenu de la portée mondiale d’Internet et du fait qu’une œuvre contenue dans un fichier est reproductible à l’infini, ces conditions cumulatives sont difficilement réunissables lorsque qu’il s’agit de transaction d’art numérique. 

La « tokenisation » d’une œuvre d’art pourrait dès lors être un moyen de surmonter ces difficultés. Le NFT rend unique la version de l’œuvre contenue dans le fichier et la technologie blockchain assure l’authenticité du NFT tout en permettant de connaître les caractéristiques de chaque transaction. De plus, une grande liberté est laissée à l’émetteur initial du NFT, ce dernier pouvant prévoir dans le « smart contract » générateur, une option afin de percevoir un pourcentage du prix de revente pour toutes ventes futures dudit NFT. 

L’émission de NFT permettrait donc de créer une sorte de « droit de suite contractuel », aisément traçable par l’émetteur initial du NFT, grâce à la technologie Blockchain. 

Les premières décisions jurisprudentielles sur la question sont très attendues.

Conclusion :

Immanquablement, le sujet des NFT alimentera l’actualité jurisprudentielle tant les enjeux économiques sont colossaux et les solutions encore incertaines.

Parallèlement, les NFT entrent en totale résonnance avec l’avènement du Metaverse. En effet, dans un univers numérique parallèle en 3D, la détention, comme dans le monde « réel », d’un bien unique et non substituable donne à son titulaire un droit de grande valeur.

Compte tenu de l’importance du droit de propriété et du caractère immatériel des biens qui en sont l’objet dans un monde « digital », plus que jamais l’assistance du spécialiste du droit de la propriété intellectuelle apparaît fondamentale afin de veiller à la sécurité et à la prévisibilité d’opérations économiques nouvelles qui, elles, n’ont rien de virtuel.


1 Cryptokitties : effigies de chats virtuels à collectionner
2 La loi Pacte n° 2019-486 du 22 mai 2019 définit un jeton à l’article L. 552-2 du Code monétaire et financier comme suit : « Au sens du présent chapitre, constitue un jeton tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien ».
3 Marketplaces telles que Ethernity, TopShot, Opensea, Rarible, SupeRare, Foundation, etc.
Cette distinction fondamentale a d’ailleurs été confirmée par la décision Ubisoft vs Oracle (CJUE 12 juillet 2012, C128/11). 
5 C’est par exemple le cas de l’artiste Clarian North, qui a mis aux enchères son nouvel album « Whale Shark » sur une plateforme de vente de NFT, précisant que tout acquéreur d’un NFT se sera également titulaire des droits d’édition de l’album, permettant ainsi de générer des revenus sur le long terme, selon le succès de l’album. 

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