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L’Exception de recherche en matière de brevets aux États-Unis
Biologie - Chimie

L’Exception de recherche en matière de brevets aux États-Unis

Rédigé par Béatrice Aveline

L’un des principaux objectifs du système des brevets est d’encourager la recherche et de promouvoir les développements techniques et industriels.  Dans ce but, le brevet d’invention octroie au titulaire un monopole de plusieurs années lui permettant d’interdire à autrui d’exploiter, sans son consentement, l’invention couverte par le brevet.  Pour éviter que le monopole conféré par le brevet constitue un frein à l’innovation, la plupart des pays industriels prévoient un certain nombre de limitations à ce monopole[1].  L’exception de recherche fait partie de ces limitations.  L’application de cette exception diffère selon le cadre législatif propre à la propriété intellectuelle de chaque pays.

Aux États-Unis, deux types d’exception de recherche sont disponibles:

  • L’exception au titre de l’usage expérimental, qui résulte de la jurisprudence (common law) et qui est connue sous les noms de research exemption et experimental use exemption ; et
  • L’exemption statutaire, régie par l’article 35 U.S.C. § 271(e)(1) qui a été adopté afin d’éviter une action en contrefaçon dans le cas d’essais effectués, avant l’expiration d’un brevet, pour satisfaire aux exigences de la FDA (Food and Drug Administration) en vue de la mise sur le marché d’un médicament générique.  Cette exception est connue sous les noms de safe harbor et Hatch-Waxman exemption.

 

L’Exception au titre de l’usage expérimental

Les États-Unis ne prévoient pas une exception de recherche règlementaire, mais excluent les utilisations expérimentales et les activités de recherche scientifique du champ d’application de la protection par brevet au moyen de la jurisprudence.

Au début du XIXe siècle, dans les toutes premières décisions reconnaissant l’exception liée à la recherche, la Cour Suprême des États-Unis indique que cette exception s’applique lorsqu’un tiers met en œuvre l’invention brevetée dans des expériences scientifiques ou dans le but d’évaluer les mérites de l’invention[2].  De plus, la Cour Suprême précise qu’il y a contrefaçon lorsque l’invention brevetée est utilisée, produite ou vendue avec l’intention d’un profit commercial[3].

Dans un ouvrage[4] important datant de 1890, le Professeur William Robinson affirme que l’acte d’un tiers constitue une contrefaçon lorsque cet acte “affecte les intérêts pécuniaires du breveté”.  Depuis, pour apprécier la validité d’une exception liée à la recherche, une distinction est faite entre les utilisateurs “commerciaux” et les utilisateurs “non commerciaux”.

Au milieu du XXe siècle, les Cours de justice américaines ont confirmé, à plusieurs reprises,[5] que l’exception de recherche ne s’appliquait que dans le cas d’une utilisation non commerciale de l’invention brevetée.

Dans l’affaire Roche Products, Inc. c. Bolar Pharmaceutical Co.[6], le premier cas d’exception liée à la recherche étudié par le Federal Circuit, la Cour a trouvé que l’exception de recherche ne pouvait être employée que si l’invention brevetée était utilisée “pour une simple distraction, pour satisfaire une curiosité désintéressée, ou pour répondre à un questionnement purement [scientifique]” et a refusé d’en adopter une interprétation large “sous le couvert de ‘recherche scientifique’ lorsqu’une telle recherche a des buts commerciaux définis, identifiables et non insignifiants”.

Dans l’affaire Embrex c. Service Engineering[7], la Chambre d’Appel du Circuit Fédéral a indiqué que l’exception liée à la recherche ne pouvait pas être utilisée dans le but d’échapper à la responsabilité pour contrefaçon en dissimulant des actes illicites sous “l’apparence de recherche scientifique”.  Cette décision a donné lieu à de nombreux commentaires.  Selon l’un de ces commentaires, au vu de cette décision, “les entités commerciales ne devraient pas pouvoir faire valoir que leur utilisation ou fabrication [d’une invention brevetée] est expérimentale, et constitue donc une exception de recherche”, en effet “si une expérimentation est uniquement effectuée à des fins commerciales ou dans le but de développer un dispositif non contrefaisant qui peut concurrencer le dispositif breveté, alors l’infraction ne peut pas être excusée”.[8]

En 2002, la Cour d’Appel du Circuit Fédéral a considérablement réduit le champ d’application de l’exception lié à la recherche, dans l’affaire Madey c. Duke University[9], en la restreignant à une utilisation “très étroite et strictement limitée”, “pour une simple distraction, pour satisfaire une curiosité désintéressée, ou pour répondre à un questionnement purement [scientifique]”.  De plus, selon la Cour, “toute utilisation qui a la moindre incidence commerciale ou qui a un rapport avec l’activité professionnelle légitime du contrevenant présumé ne saurait bénéficier de l’exception au titre de l’utilisation expérimentale”, “même si cette activité professionnelle est de nature non lucrative”.  L’exception de recherche ne s’étend donc pas à des recherches purement scientifiques ou académiques si cette recherche sert les activités professionnelles légitimes du contrefacteur[10]

Ainsi, selon la jurisprudence des États-Unis, “indépendamment du fait qu’une entité ou un organisme donné poursuit ou non une activité dans un but commercial, dès lors que l’acte est accompli dans le cadre de l’activité professionnelle légitime du contrevenant présumé et non uniquement à des fins de divertissement, pour satisfaire une curiosité désintéressée ou dans un but purement scientifique, l’acte n’entre pas dans le champ étroit et strictement limité de l’exception reconnue au titre de l’utilisation expérimentale”.  Il découle donc de la jurisprudence américaine, et en particulier de la décision Madey c. Duke University, que l’exception liée à la recherche est peu susceptible d’être disponible pour une entité commerciale ou une institution académique privée.

 

L’Exemption statutaire

En 1984, la Cour d’Appel pour le Circuit Fédéral a décidé, dans l’affaire Roche Products, Inc. c. Bolar Pharmaceutical Co[6], que les essais cliniques réalisés aux États-Unis sur un médicament fabriqué à l’étranger et importé pour ces essais, et dont les résultats étaient destinés à obtenir une autorisation de mise sur le marché après l’expiration du brevet couvrant ce médicament, constituaient une contrefaçon.

Pour contrer cette jurisprudence, le Congrès des États-Unis a promulgué, en 1984, le Hatch-Waxman Act, qui a créé une exemption statutaire de la contrefaçon de brevet pour les activités associées à l'approbation réglementaire de mise sur le marché des médicaments (produits génériques).  Plus précisément, la loi Hatch-Waxman, comme initialement édictée et codifiée en 35 U.S.C. § 271 (e), exempte de la contrefaçon les “utilisations raisonnablement liées à l'élaboration et à la présentation d’informations” lorsqu’elles sont strictement destinées à une requête d’autorisation par la FDA.[11]

L’exception statutaire introduite par le Hatch-Waxman Act ne s’applique qu’aux médicaments à usage humain et n’est pas disponible si le médicament “est principalement produit en utilisant un ADN recombinant, un ARN recombinant, une technologie d’hybridome, ou un autre procédé impliquant des techniques de manipulation génétique site-spécifique” (voir l’article 35 U.S.C. § 271(e)(2)).[12]

Dans l’affaire Merck KGaA c. Integra LifeSciences[13], la Cour Suprême soutient que l’utilisation d’un produit breveté dans le cadre de recherches cliniques ne peut constituer une contrefaçon lorsqu’il y a un motif raisonnable de croire :

(1) que le produit étudié pourrait être soumis pour approbation à la FDA (en tant que générique), ou

(2) que les expériences effectuées pourraient engendrer des informations destinées à être utilisées dans une demande, déposée auprès de la FDA, d’approbation pour des essais cliniques (“Investigational New Drug” – IND) ou d’autorisation de mise sur le marché (“New Drug Application” – NDA). 

La Cour Suprême a statué que l’exception du safe harbor offrait une protection à l’égard des recherches précliniques, incluant les recherches sur les mécanismes d’action, la pharmacocinétique et la pharmacologie d’un produit, ainsi que sur les produits et les études qui ne feraient pas nécessairement partie d’une soumission pour approbation éventuelle à la FDA[14] (avant cette décision, l’exception ne s’appliquait qu’aux essais cliniques entrepris pour obtenir l’approbation de la FDA pour la mise en vente d’un médicament générique).

L’application de l’exception du safe harbor en ce qui a trait aux outils de recherche demeure un sujet de discussion. En effet, dans la décision Merck KGaA c. Integra LifeSciences, la Cour Suprême ne s’est pas prononcée sur ce point. De nombreuses expérimentations dans le domaine de la santé sont cependant menées “à l’aide” d’inventions brevetées, comme par exemple les essais cliniques effectués à l’aide de tests diagnostiques.

Plusieurs décisions, postérieures à Merck KGaA c. Integra LifeSciences, ont apporté des précisions sur ce que constituent des “utilisations raisonnablement liées à l'élaboration et à la présentation d’informations en vertu d'une loi fédérale qui réglemente la fabrication, l'utilisation ou la vente de médicaments”. Ainsi, selon les Cours de justice américaines :

  • L’intention de l’expérimentateur non autorisé doit être prise en compte pour déterminer si l’expérimentation bénéficie ou non de l’exception statutaire.[15]
  • L’exception statutaire n’est pas nécessairement limitée à l’utilisation des composés brevetés eux-mêmes.[16]
  • L’expérimentation avec un dispositif médical breveté bénéficie de l’exception statutaire si elle est effectuée dans le but d’obtenir une autorisation de la FDA (voir Eli Lilly & Co. c. Medtronic, Inc[17]) sauf si le dispositif n’a pas lui-même fait l’objet d’une autorisation par la FDA.[18]
  • Les études commerciales et les études de marketing peuvent bénéficier de l’exception statutaire, si elles produisent des informations pouvant être soumises à la FDA.[19],[20]
  • Dans certains cas, les expérimentations effectuées postérieurement à l’autorisation de la FDA peuvent bénéficier de l’exception statutaire.[21], [22],[23]

Contrairement à l’exception liée à la recherche qui a vu, au cours du temps, son champ d’application être restreint par la jurisprudence, la Cour Suprême des États-Unis et les Cours du Circuit Fédéral ont donc interprété l’exception statutaire régie par l’article 35 U.S.C. § 271(e)(1) de manière très large. De ce fait, même si les contours du champ d’application du safe harbor se précisent en fonction des faits spécifiques de chaque affaire jugée, ces contours sont encore mal définis. Ainsi, par exemple, la question de l’exception statutaire dans le cas de l’utilisation d’outils de recherche n’est pas résolue. On ignore aussi à quels critères doivent répondre les essais de phase précoce, tels que le criblage à haut débit ou les essais in vitro, pour constituer des actes conduits à “des fins raisonnablement liées à l’élaboration et à la présentation d’informations” à une autorité règlementaire. On ignore aussi encore si les études conduites dans le cadre d’un suivi de patients recevant un médicament approuvé par la FDA sont exclues du champ d’application de l’exception si le suivi n’est pas expressément requis par une autorité réglementaire. D’une manière générale, il est conseillé de faire preuve de prudence lorsque l’on souhaite utiliser l’exemption statutaire.

 

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[1] Voir l’Article 30 de l’accord sur les ADPIC (entré en vigueur le 1er janvier 1995).

[2] Whittemore c. Cutter (29 F.Cas 1120, 1121 (C.D.D. Mass. 1813)).

[3] Sawin c. Guild (21 F.Cas 554.555 (C.D.D. Mass. 1813)).

[4] William C. Robinson “The Law of Patents for Useful Inventions” § 898, 1890.

[5] Dugan c. Lear Avia, Inc. (55 F. Supp. 223,229 (S.D.N.Y 1944); Ruth c. Stearns-Roger Manufacturing Co. (13 F. Supp. 697, 713 (D. Colo. 1935); et Chesterfield c. United States (159 F. Supp. 371, 375-76 (Ct. Cl. 1958)).

[6] 733 F. 2d 858.860 (Fed. Cir. 1984) – décision remplacée, pour d’autres motifs, par la loi Hatch-Waxman – article 35 U.S.C. § 271(e).

[7] 216 F.3d 1343.1346 (Fed. Cir. 2000).

[8] Michelle Walters, “De Minimis Use and Experimental Use Exceptions to Patent Infringement: A Comment on the Embrex Concurrence”, 29 AIPLA Q.J. 509, 523 (2001).

[9] 307 F.3d 1351, 1361-1362 (Fed. Cir. 2002).

[10] Deux points à noter ici :

(a) L’exception de recherche pour une université publique devrait être plus facile à justifier que dans le cas d’une université privée (telle que Duke University). Cependant, une université publique peut également être à l’origine d’inventions de valeur. Le test, dans ce cas, serait de déterminer à quel moment le chercheur non autorisé commence à percevoir un revenu régulier pour ses activités – moment à partir duquel l’exception liée à la recherche cesserait d’être disponible. Quant à elles, les recherches effectuées par/dans une université publique mais subventionnées par une entité commerciale ne bénéficient pas de l’exception.

(b) Les actions en contrefaçon contre les universités sont extrêmement rares. En plus d’être onéreux et chronophages, ces litiges créent de mauvaises relations publiques pour le titulaire.

[11] A première vue, l’article 35 U.S.C. § 271(e)(1) peut sembler ne concerner que les “médicaments” (drugs), c’est-à-dire les produits pharmaceutiques. Or, cela n’est pas le cas. La Cour Suprême des États-Unis a interprété le terme “médicaments” dans § 271(e)(1) de manière large, de sorte qu’il inclut les produits pharmaceutiques à petites molécules (small molecules), les dispositifs médicaux et les médicaments biologiques (voir Eli Lilly & Co. c. Medtronic, Inc. (496 U.S. 661) (1990)).

[12] Cependant, par le Generic Animal Drug and Patent Term Restoration Act, entré en vigueur en novembre 1988, le Congrès a étendu cette exception aux médicaments vétérinaires réglementés et aux produits biologiques (Pub. L. No. 100-670. 102 Stat. 3971).

[13] 545 U.S. 193 (2005).

[14] La Cour Suprême reconnaît là que les tests effectués, même dans les derniers stades de développement, impliquent une approche par tâtonnement. Des échecs peuvent se produire même au stade des essais cliniques. Ainsi, le succès ou l’échec de l’expérimentation ne peut pas être un facteur déterminant pour évaluer la disponibilité de l’exception statutaire.  Par conséquent, dans certaines circonstances, les expériences effectuées sur des composés brevetés qui ne sont pas l’objet ultime de la requête d’approbation par la FDA et dont les résultats ne font pas partie des informations ultimement soumises à la FDA, bénéficient de l’exemption statutaire.

[15] Dans Third Wave Techs. c. Stratagene Corp. (381 F.Supp.2d. 891 (W.D. Wis. 2005)), la Cour indique qu’un “désir lointain/vague” d’obtenir l’approbation de la FDA pour des produits utilisant l’invention brevetée n’est pas suffisant.

[16] Dans Classen c. King (466 F.Supp.2d 621 (D. Md. 2006)), la Cour a jugé que même si le défendeur a utilisé une méthode brevetée pour identifier et commercialiser de nouveaux médicaments, l’utilisation était protégée par 35 U.S.C. § 271(e)(1).

[17] 496 U.S. 661, 1990.

[18] Dans Proveris c. Innovasystems (536 F.3d 1256 (Fed, Cir 2008)), la cour a jugé que l’utilisation d’un appareil de laboratoire breveté n’était pas exemptée de contrefaçon. Plus spécifiquement, selon la Cour, la vente d'un “analyseur de spray optique”, utilisé pour analyser les paramètres physiques d’aérosols, n'est pas exemptée de contrefaçon même si l’analyseur était utilisé exclusivement pour générer des données destinées à être soumises à la FDA, parce que l'appareil lui-même n'était pas soumis à l'approbation de la FDA.

[19] Dans Genentech v. Insmed (436 F. Supp.2d 1080 (N.D. Cal. 2006)), la Cour a jugé que même les tests conduits en partie à des fins commerciales peuvent être exemptés s’ils produisent des informations pouvant être soumises à la FDA.

[20] Dans Amgen c. International Trade Commission (565 F.3d 846 (Fed. Cir. 2009)), la Cour a jugé qu’il était nécessaire d’évaluer soigneusement les études commerciales et les études de marketing pour déterminer si elles étaient liées à la soumission d’informations à la FDA.

[21] Dans Classen Immunotherapies, Inc. v. Biogen IDEC (659 F.3d 1057 (Fed. Cir. 2011)), la Cour a décidé d’exclure de l’exception liée à la recherche toute expérimentation effectuée post-approbation de la FDA.

[22] Dans Momenta Pharmaceuticals, Inc. v. Amphastar Pharmaceuticals, Inc. (686 F.3d 1348 (Fed. Cir. 2012)), la Cour a jugé que les expérimentations post-autorisation, qui avaient été requises par la FDA pour confirmer la reproductibilité des lots de production, bénéficiaient de l’exemption.

[23] Dans Momenta Pharmaceuticals, Inc. v. Teva Pharmaceuticals USA Inc. (809 F.3d 610 (Fed. Cir. 2015)), la Cour indique que même si l’exception statutaire est a priori applicable à toute activité, qu’elle soit effectuée pré-autorisation ou post-autorisation par la FDA, “une analyse plus critique [est requise] dans le cas d’activités post-approbation”.

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