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Marques & Modèles - Contrats & Valorisation

N’est pas collectivité territoriale qui veut

Rédigé par Baptiste Mondon

A l’heure où le « made in France » et les terroirs sont régulièrement au cœur des stratégies de communication, les collectivités territoriales tâchent de protéger leurs attributs contre les abus.

La référence à une identité géographique pour désigner des produits ou une activité est susceptible de procurer un avantage concurrentiel car elle sera perçue par le public comme un gage d’authenticité et d’une certaine légitimité.

De nombreuses marques sont ainsi implicitement ou explicitement basées sur une identité géographique, notamment en Bretagne (marque « À l’aise Breizh ») et dans le Sud-Ouest (marques « ADISHATZ », « PASEO », « 64 »). Le concept des numéros de département a aussi connu un incroyable succès à la fin des années 1990 dans le domaine de l’habillement.

Inévitablement, les noms de collectivités territoriales sont des cibles de choix pour les opérateurs économiques. A titre d’exemple, une recherche sur la base de l’INPI montre que sur 13 000 marques protégées sur le territoire français comprenant le terme « PARIS », moins de 200 sont déposées au nom de la collectivité territoriale en cause (soit 1,5 % des marques observées).

Le contentieux en la matière est exponentiel et les prises de position législatives et réglementaires se multiplient pour répondre aux inquiétudes des élus. Les déboires judiciaires de la commune de Laguiole ont d’ailleurs particulièrement médiatisé l’impossibilité pour les collectivités territoriales de s’opposer efficacement à l’appropriation indue de leur nom.

En soi, le nom d'une collectivité territoriale ne constitue pas un signe indisponible réservé à cette collectivité. Il a vocation, de par sa nature, à rester collectif et disponible à tous les acteurs pouvant légitimement prétendre à l’utiliser.

Néanmoins, pour éviter les abus, il était essentiel de conférer aux collectivités territoriales des moyens d’action efficaces en cas d’utilisation indue de leurs noms, notamment à titre de marque ou de nom de domaine.

  • Le renforcement des prérogatives des collectivités territoriales en matière de marques

Il est essentiel qu’une collectivité territoriale puisse être alertée et défendre son nom en cas d’appropriation indue et ce, indépendamment du dépôt ou non d’une marque. En effet, il arrive fréquemment qu’une commune n’ait pas déposé son nom à titre de marque.

La loi dite « Hamon » n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation et son décret d’application du 15 juin 2015 offrent certains moyens aux collectivités territoriales.

Ainsi, une procédure d’alerte permet désormais aux collectivités locales et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) d’être informés par l’INPI dans les cinq jours ouvrables suivant la publication d’un dépôt de demande d’enregistrement de la marque contenant leur nom (article L. 712-2-1 du Code de la propriété intellectuelle).

La mise en place d’une telle procédure suppose une démarche d’adhésion spécifique des collectivités et EPCI, dont les modalités de mise en place et de fonctionnement sont décrites aux articles D. 712-29 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

En parallèle, une faculté d’opposition a été octroyée aux collectivités territoriales sur le seul fondement de leur nom, les épargnant ainsi de toute démonstration relative à l’existence d’un droit antérieur opposable, en cas d’atteinte « au nom, à l'image ou à la renommée d'une collectivité territoriale » (article 711-4, h du Code de la propriété intellectuelle).

En pratique, une telle atteinte est caractérisée lorsque la collectivité parvient à établir que l’enregistrement du signe contesté entraine un risque de confusion avec ses propres  attributions  ou  lui  porte  préjudice  (directement, ou à ses administrés). Il lui faut alors démontrer l’existence d’un risque de confusion au regard des activités effectivement exercées, en rapport avec les produits ou services visés dans l’opposition.

Ainsi, récemment, la ville de Paris a formé opposition à l’encontre d’une demande d’enregistrement de marque semi-figurative « XXIE CONSERVATOIRE POUR ADULTES DE PARIS » désignant notamment des services d’éducation, de formation, de coordination d’évènements culturels, d’édition de matériel éducatif et d’aide à la composition musicale. La Ville de Paris ayant été en mesure de démontrer son implication dans ce secteur et l’appartenance des services précités aux missions éducatives et culturelles de la ville, la demande litigieuse a été partiellement rejetée (OPP 16-4611 du 16 mai 2017).

Dans une autre affaire, la ville de Paris a formé opposition à l’encontre d’une demande d’enregistrement de marque « #PARIS ». La ville de Paris ayant démontré être à l’origine d’importantes campagnes publicitaires dans le domaine de la mode (Fashion Week de Paris) et prouvé l’existence d’organismes et d’institutions de la ville intervenant dans ce secteur, la demande d’enregistrement a été rejetée pour les articles vestimentaires (OPP 16-3836 du 27 février 2017).

Un tel droit d’opposition au bénéfice des collectivités constitue un symbole fort de la volonté des pouvoirs publics, et ce alors même que les titulaires de certains droits réputés absolus (comme le droit d’auteur) ou de droits de la personnalité (droit au nom) ne disposent pas de telles prérogatives.

  • La protection judiciaire des collectivités territoriales face aux réservations de noms de domaine comprenant leur nom

Les collectivités locales ont intérêt à agir en justice afin de faire respecter leur nom sur la toile, et notamment à contester les réservations injustifiées de noms de domaine incorporant leur nom.

Il fut un temps où les collectivités territoriales bénéficiaient d’une protection sans limite puisque l’article R. 20-44-43 du Code des postes et des communications électroniques (CPCE) leur réservait la faculté d’enregistrer le nom de domaine correspondant à leur nom (au sein des domaines dits de « premier niveau »). Cette disposition fut abrogée par décision du Conseil constitutionnel car elle ne présentait pas de garanties suffisantes au regard des principes de liberté d’entreprendre et de liberté de communication (Cons. const., 6 oct. 2010, déc. n° 2010-45 QPC).

Le dispositif fut alors remplacé par l’article L. 45-2, 3° du CPCE, lequel prévoit l’interdiction de l'enregistrement ou du renouvellement d'un nom de domaine « identique ou apparenté à celui de la République française, d'une collectivité territoriale ou d'un groupement de collectivités territoriales ou d'une institution ou service public national ou local, sauf si le demandeur justifie d'un intérêt légitime et agit de bonne foi ».

L’article R. 20-44-46 du CPCE fournit une liste non exhaustive de situations dans lesquelles l’intérêt légitime ou la mauvaise foi du titulaire d’un nom de domaine est caractérisé. Par exemple, l’existence d’un intérêt légitime peut être démontré par une utilisation dénuée de toute volonté de nuire ou de tromper le public ; l’absence de bonne foi pourra, quant à elle, être déduite de la volonté de vendre le nom de domaine à la collectivité locale ou de profiter de sa renommée.

Dans certains cas, les juges considèrent que la reprise du nom d’une commune dans un nom de domaine constitue un intérêt légitime, notamment pour faire état du lieu dans lequel une activité est effectivement exercée (CA Versailles, 12e ch., 13 sept. 2007, SEM Média c/ El Hadri : à propos de la reprise du nom de la commune d’Issy les Moulineaux).

Il en va autrement lorsque l’exploitation du nom de domaine ne présente aucun lien avec le territoire de la collectivité. 

Ainsi, dans une affaire opposant le département de Saône et Loire à la société DATAXY, titulaire des réservations de noms de domaine <saone-et-loire.fr>, <saône-et-loire.fr> et <saonetloire.fr>, la Cour d’appel de Versailles a rappelé l’étendue de la protection accordée aux collectivités territoriales et ordonné le transfert desdits noms de domaine au bénéfice du département (CA Versailles, 12e ch., 14 mars 2017, n° 15/08491).

Outre des actes de contrefaçon par imitation de sa marque « SAONE-ET-LOIRE LE DÉPARTEMENT », la collectivité invoquait les dispositions précitées de l’article L. 45-2, 3° du CPCE. La Cour, procédant à une application stricte de cet article, a profité de l’occasion pour rappeler le caractère cumulatif des conditions d’intérêt légitime et de bonne foi.

Dès lors, après avoir relevé que les noms de domaine litigieux étaient exploités pour proposer des liens commerciaux sans aucun lien avec le département de Saône et Loire, les magistrats ont jugé que la société DATAXY ne pouvait avoir d’intérêt légitime à l’enregistrement de ces noms de domaine et l’ont condamnée à leur transfert forcé à la collectivité territoriale, outre les sommes de 5.000 euros en réparation du dommage causé à sa marque et 20.000 euros en réparation du préjudice subi au titre de l’atteinte portée au nom de la collectivité.

Ce faisant, la Cour d’appel a annulé les décisions issues des procédures Syreli (système de résolution des litiges de l’AFNIC créé en 2011) qui avaient respectivement rejeté les demandes de transfert des noms de domaine <saone-et-loire.fr> et <saoneetloire.fr>.

CONCLUSION

Le sujet soulève la difficulté de préserver l'équilibre entre intérêts privés et publics. Si une marque n’est pas, par nature, un outil adapté à la protection de biens à usage collectif, les dépôts effectués par les collectivités territoriales n’en restent pas moins dissuasifs.

En outre, même en l’absence de dépôt de marque ou de nom de domaine, les tiers doivent être particulièrement attentifs à ne pas enfreindre les prérogatives d’une collectivité territoriale sur son nom.

Si les réformes et décisions judiciaires récentes semblent aller dans le bon sens, le régime de protection offert aux collectivités territoriales n’en reste pas moins éclaté. Celles-ci devront être particulièrement vigilantes et réactives pour conserver  la  maîtrise  de  leur  dénomination  et  éviter une appropriation indue de leur nom par un acteur économique.

Des collectivités territoriales font régulièrement appel aux services du Cabinet PLASSERAUD pour protéger leurs attributs par le biais de dépôts de marques, les assister dans le cadre de la surveillance de leurs signes distinctifs ou de contentieux liés à une utilisation indue.

Nous sommes à votre disposition pour toute information complémentaire relative à la protection des noms de collectivités territoriales.

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