Articles

Made in France
Marques & Modèles

La protection du « Made in France »

Newsletter Septembre 2020
Rédigé par Christelle Marguet

Depuis plusieurs années, un changement de mentalité s’est opéré pour les consommateurs qui, soucieux de l’environnement, de l’écologie et de l’économie sont attirés par des produits d’origine française. 

Il est en effet impossible de passer à côté de la tendance du « MADE IN FRANCE » et de la volonté de consommer différemment, de manière plus responsable et locale. Les marques seules ne suffisent plus. Nombreux sont ceux désormais à faire figurer une mention d’origine géographique sur leurs produits, la considérant comme un argument supplémentaire à faire valoir. En effet, les mentions valorisant l’origine se multiplient sur les produits et leurs emballages car le consommateur n’hésite désormais plus à scruter les emballages des produits de consommation courante en quête de tels produits.

Les entreprises satisfont ainsi à cette nouvelle demande à grand renfort d’allocutions évoquant l’origine française des produits. Or, quoi de plus évocateur pour un produit français qu’une marque comportant les couleurs tricolores, les symboles de la France tel que le coq ou des mentions telles que « d’origine française » ou « fabriqué en France »?

Ainsi, ces dernières années, nombre de demandes de marques ont été déposées contenant les couleurs du drapeau français, certains emblèmes nationaux et des mentions rappelant l’origine française des produits. A titre d’exemple, on dénombre plus de 500 marques françaises déposées depuis le début de l’année 2020 incluant le terme « France » !

Dans ce contexte, les Offices des marques européennes (EUIPO) et françaises (INPI) sont intervenus à maintes reprises en vue d’encadrer l’enregistrement de tels signes.

I – LES OBSTACLES AUX DEPOTS « MADE IN FRANCE »

1.    La contrainte absolue imposée par l’article 6ter de la Convention de Paris

Lors du dépôt de signes incluant des références à l’origine géographique, le premier obstacle auquel peuvent être confrontés les déposants est l’interdiction de reproduction des drapeaux et emblèmes nationaux.

En effet, ces signes font l’objet d’une protection stricte guidée par le célèbre article 6ter de la Convention de Paris, repris dans l’article 7, paragraphe 1, point h), du RMUE et L.711-2 6° du Code de la Propriété Intellectuelle, qui prévient toute utilisation comme marque de fabrique ou de commerce, ou comme élément de marque, des « armoiries, drapeaux et autres emblèmes d’État des pays de l’Union, signes et poinçons officiels de contrôle et de garantie adoptés par eux, ainsi que toute imitation au point de vue héraldique ».

Les drapeaux et emblèmes nationaux jouissent d’une protection en soi sans qu’ils aient besoin d’être enregistrés. Il n’est pas nécessaire d’établir un lien entre les produits et services demandés et le pays, de sorte qu’ils bénéficient d’une protection absolue.

Ainsi, sera refusée à l’enregistrement toute marque consistant exclusivement ou comprenant une reproduction à l’identique ou une imitation héraldique (c’est-à-dire une reproduction fidèle à l’image officielle) des armoiries, drapeaux et autres emblèmes d’Etat, et ce peu importe :

  • La taille de l’emblème protégé figurant dans la demande de marque dans la mesure où il est lisible et perceptible

Concernant la demande de marque 11, l’EUIPO a jugé que bien qu’il soit de petite taille, le drapeau français est immédiatement reconnaissable au sein de la marque.

  • Que la demande de marque comprenne également des éléments verbaux

Il a notamment été jugé par l’EUIPO que le signe 2 constituait une imitation du drapeau européen 3 : la stylisation de l’emblème européen par l’apposition d’un élément verbal au sein du cercle d’étoiles, n’empêche pas qu’il s’agisse d’une imitation au point de vue héraldique2.

De la même manière, une représentation en noir et blanc d’un emblème protégé, ou inversement, sera tout de même être considérée comme une imitation héraldique si l’emblème protégé est identifiable en tant que tel, comme c’était le cas en l’espèce.

A ainsi pu également être refusé le signe suivant : 43

Le principe est donc clair : aucune reproduction stricte du drapeau français ou des emblèmes nationaux en tant que marque ou contenu de la marque n’est autorisée et encore moins une combinaison des deux.

Cette interdiction de principe se justifie également par une volonté de ne pas induire le public en erreur.

2.    L’interdiction imposée par le fait de ne pas tromper le public

L’article L 711-2 8° du CPI refuse également de façon absolue l’enregistrement de marque de nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service.

La marque ne doit en aucun cas être trompeuse. En d’autres termes, le signe ne doit pas laisser penser au consommateur que l’ensemble des produits ou services désignés dans la demande d’enregistrement ont fait l’objet d’un contrôle par un organisme certificateur visant à en garantir l’origine et la qualité soit qu’il s’agit d’une marque collective soit de garantie.

Dès lors que le signe pour lequel la protection est demandée est susceptible de laisser penser au public qu’il s’agit d’une marque collective ou de garantie, l’INPI rejette systématiquement la demande de marque pour cause de caractère trompeur.

En outre, la marque ne doit pas faire naître de risque de confusion ou de méprise avec une émanation de l’Etat. Il faut entendre par là qu’est interdite l’'utilisation des couleurs ou des emblèmes nationaux lorsque cela entrainerait une confusion dans l’esprit du public sur l’origine ou la qualité du produit ou de la prestation. 

Le consommateur ne doit donc jamais être amené à penser que le titulaire de la marque est un organe officiel ou bénéficie d’une reconnaissance étatique ou d’un statut encadré.

C’est ce qui a motivé le refus des marques suivantes : 5en raison de son graphisme représentant un macaron constitué de bandes de couleur bleue, blanche et rouge ainsi que la représentation stylisée d’une silhouette de coq, dont l’aile est également dessinée à l’aide de ces mêmes couleurs reprenant celles du drapeau français et des termes « élevé en France », 65 car la forme d'un sceau très sobre sous laquelle figurent les éléments verbaux ORIGINE FRANCE GARANTIE et la reprise des couleurs bleu, blanc, rouge, dans l'ordre du drapeau français, sont effectivement susceptibles de laisser croire au public de façon trompeuse que l’origine France garantie émane d’un service officiel ou à tout le moins d'un opérateur économique habilité par les autorités publiques ; ou encore 7en raison de la présence du drapeau français et des éléments verbaux « Fabriqué en France ».

En revanche, dans la décision du Tribunal de Grande Instance de Paris « Les Républicains », qui a eu à statuer sur la validité des marques 8, 9 et 106, le Tribunal spécifie que sont seulement repris dans la marque les couleurs attachées au drapeau, mais pas les symboles officiels de la République, de sorte qu’il n’en résulte aucun risque de confusion avec une émanation étatique. En l’espèce, la simple reprise des couleurs attachées au drapeau français n’a pas été considérée comme une reproduction ou imitation héraldique condamnable au titre de l’article 6ter.

Ainsi, on peut légitimement en déduire que l’inverse est vrai, c’est-à-dire que si les emblèmes nationaux étaient repris aux côtés des couleurs nationales, le risque de confusion serait avéré et la marque risquerait d’être rejetée. 

Par conséquent, le risque de tromperie résulte de l’ensemble des éléments compris au dépôt qui doivent être chacun pris en compte pour analyser s’il est possible que le consommateur puisse croire qu’il s’agit de façon trompeuse d’une émanation de l’Etat.

Peuvent également faire l’objet d’un refus sur ce fondement les marques comprenant une référence à l’origine française tels que les termes « Français », « France », « Elevé en France », ou encore « Fabriqué en France » car la présence de cette référence peut être perçue par le consommateur comme indiquant l’origine géographique des produits ou services. Elle est donc susceptible de tromper le consommateur concerné si les produits ou services ne sont pas d’origine française ou fabriqués en France. De ce fait, il existe un risque de tromperie, ce qui n'est pas autorisé par les dispositions du Code de la Propriété intellectuelle. Dans ce cas, la demande de marque ne pourra pas être enregistrée telle quelle.

II – LES SOLUTIONS A PRIVILEGIER POUR OBTENIR L’ENREGISTREMENT DE SIGNES « MADE IN FRANCE »

Le déposant de marque dispose de solutions pour contourner ces interdits. A défaut d’une autorisation des autorités compétentes, le principe est clair : la marque doit être suffisamment décalée et ne pas avoir de consonance officielle.

1.    L’obtention d’une autorisation dérogatoire

Une demande de marque peut être enregistrée en dépit de l’article 6ter si le demandeur fournit à l’Office l’autorisation lui permettant d’inclure l’emblème protégé ou des parties de celui-ci dans sa marque.  L’autorisation doit alors couvrir l’enregistrement comme marque ou comme partie de celle-ci. L’autorisation de l’utiliser ne suffit pas.

Néanmoins, ce cas de figure constitue une dérogation particulièrement rare.

2.    En s’écartant de toute consonance officielle

Il est également possible d’obtenir l’enregistrement d’une marque comprenant une référence à l’origine géographique dès lors qu’il ne s’agira pas d’une reproduction ou imitation héraldique tombant sous le coup de l’article 6ter.

Dans l’affaire école du ski français 11, l’EUIPO a pu rappeler que « La circonstance qu’une marque suive une interprétation stylisée d’un emblème ne fait pas obstacle à ce qu’elle puisse être considérée comme une imitation au point de vue héraldique dudit emblème »7. En conséquence, la forme déposée doit donc être particulièrement éloignée de la forme originelle de l’emblème national.

Le fait que l’emblème en question soit stylisé, ou que seulement une partie de l’emblème soit utilisée, n’empêche pas nécessairement qu’il s’agisse d’une imitation au point de vue héraldique.

L’EUIPO a ainsi jugé que le signe 128 constituait une imitation héraldique du drapeau britannique puisqu’il comprend une représentation fidèle du drapeau britannique en termes de couleurs et de configuration. La légère stylisation ne le fait alors pas sortir du champ d’application de l’imitation héraldique et donc de l’article 6ter.

En revanche, s’agissant du signe 139, il a été considéré que bien que les couleurs soient reconnaissables, la structure du signe est différente de celle du drapeau français. De même, l’imitation héraldique n’a pas été retenue pour le signe 1410 que l’Office a considéré comme n’étant pas une représentation fidèle du drapeau britannique en termes de couleurs et de configuration, de sorte que la forte stylisation du signe permet de l’écarter du champ d’application de l’imitation héraldique et de l’article 6ter.

En conséquence, plus la surface comportant les couleurs du drapeau s’éloigne de la forme rectangulaire du drapeau, et plus ces couleurs sont agencées dans un ordre, une forme ou des proportions différentes de celles du drapeau, plus les chances d’enregistrement de la marque sont élevées.

La seule reprise des couleurs agencées dans l’ordre du drapeau au sein d’une marque est possible, tant que le drapeau en lui-même n’est pas reproduit. Il s’agira notamment d’adopter une forme spécifique ou une disposition particulière des couleurs.

C’est notamment le cas des marques suivantes : 1511, 1612, 17,18 et 1913.

Le TGI dans la décision « Les Républicains » a alors jugé que le signe figuratif utilisé comme logo par Les Républicains comporte la lettre capitale « R » dont l’habillage stylisé aboutit à une composition singulière dont l’aspect d’ensemble se distingue de la géométrie du drapeau français, de sorte que tout risque de confusion entre les logos utilisés par Les Républicains et l’emblème national est écarté. 

L’objectif pour les déposants de marques est donc clair : s’éloigner au maximum du traditionnel rectangle des drapeaux nationaux ou de l’emblème national.

Toutefois, cela ne suffit pas : il faut également veiller à ne pas combiner trop d’éléments rappelant l’origine géographique de sorte que le consommateur puisse être trompé. Pour reprendre de nouveau la décision « Les Républicains », on peut en déduire que la combinaison des emblèmes nationaux et des couleurs du drapeau est susceptible de causer un risque de confusion qui n’aurait pas existé si seul l’un des deux éléments avait été repris.

Cette analyse pourrait être la clé des subtilités de l’appréciation de l’INPI et pourrait notamment expliquer la raison pour laquelle l’INPI a pu refuser à l’enregistrement la marque 20, mais accepter l’enregistrement de la marque 16

Toutes deux revêtent une forme qui les distingue du rectangle classique du drapeau français, et toutes deux comprennent une base line évocatrice. Néanmoins, tandis que l’une représente un poisson, l’autre représente un coq, emblème de la République française. En conséquence, tandis que l’une reprend une forme décalée et légèrement humoristique avec les couleurs nationales, l’autre reprend à la fois les couleurs du drapeau français et l’emblème national du coq entrainant son refus à l’enregistrement.

L’EUIPO a également la même pratique : s’agissant de la demande de marque 22, elle justifie le refus de cette marque car elle consiste en un cercle de 12 étoiles, trois desquelles sont recouvertes. Elle comprend donc l’élément qui caractérise le drapeau européen, protégé par l’article 6ter, en combinaison avec l’adjectif « European » et renforce ainsi le lien déjà établi par le cercle d’étoiles.

3.    En étant suffisamment décalé : la connotation humoristique ou l’absence d’indication d’origine

Il en va de même s’il ressort du signe une connotation humoristique ou décalée permettant également d’écarter toute consonance officielle. 

Les marques suivantes peuvent être citées à titre d’exemple : 231524162517

Comme nous l’avons rappelé plus tôt, la marque ne doit pas avoir une quelconque connotation officielle faisant penser que les produits et services en cause ou le titulaire bénéficient d’un statut encadré. Dès lors, les marques citées ci-dessus, de par leur côté humoristique, ne sauraient être considérées comme des marques collectives ou de garantie. On ne peut imaginer une marque certifiée représentant un gros croissant évoquant la forme d’un sous-vêtement, un « C cédille » transformé en verre de vin, ou un cochon sifflotant avec sa sacoche sur le dos.

Le risque de tromperie ou de confusion du consommateur est alors écarté.

Le risque de tromperie est également écarté dès lors que la référence en cause ne sera pas comprise comme étant une référence à l’origine géographique : dans l’affaire école du ski français 26: il a été considéré par l’Office européen que « Force est de constater que le sens le plus clair de l’expression « ski français » présent dans l’élément verbal de la marque contestée est […] une technique de ski caractéristique de ce pays ». Ainsi, l’élément verbal « école du ski français » véhicule essentiellement l’idée d’une méthode d’enseignement du ski propre à la France. Dès lors, il peut être raisonnablement conclu que la marque contestée sera perçue par le public pertinent comme une référence, peut-être historique, à une méthode d’enseignement du ski qui aurait été propre à la France, plutôt que comme impliquant que l’enseignement du ski est rendu par l’État ou sous son contrôle ». Ici, le terme « français » prend un sens différent de celui de l’origine géographique. Par conséquent, ces éléments ne laissent pas penser au consommateur qu’il s’agit d’une émanation de l’Etat.

4.    La rédaction du libellé

Enfin, dans certains cas, notamment en présence d’éléments évocateurs de l’origine géographique tels que les termes « français » « France » « élevé en France », « fabriqué en France », la présence des couleurs du drapeau français, la présence du coq, la pratique de l’INPI est de demander d’indiquer au sein du libellé que les produits sont d’origine française ou fabriqués en France, ou que les services sont rendus en France.

Ainsi, la seule présence d’un symbole évoquant l’origine française comme le coq n’empêche pas l’enregistrement à titre de marque. Par exemple : 27182819, qui nécessite également dans certains cas une précision relative à l’origine des produits et services.

Il peut en être de même pour d’autres termes évocateurs de l’origine géographique tels que « Paris », toutefois limités aux domaines pour lesquels la capitale est dotée d’une réputation, par exemple les cosmétiques. Dans ce cas, l’INPI requiert également la précision au sein du libellé que les produits sont d'origine française ou fabriqués en France.

***

En conséquence, il est possible d’obtenir la protection à titre de marque d’un signe comprenant des éléments faisant référence à l’origine française. Si la représentation est identique ou fidèle à un signe protégé par l’article 6ter, la seule dérogation sera d’obtenir l’autorisation de l’autorité compétente.

Dans les autres cas, il faut être prudent de ne pas combiner trop éléments de façon à faire ressortir une apparence « officielle » de la marque. Le dépôt d’une marque incluant des éléments faisant référence à l’origine française est possible selon les cas à condition que la forme choisie soit suffisamment éloignée de sa forme officielle ou en ajoutant une connotation humoristique voire en limitant son libellé. 

Ainsi, la prudence est de mise. Nos experts Plasseraud IP Marques & Modèles sont à votre disposition pour étudier la possibilité d’enregistrer les signes souhaités. Plass’ à l’imagination !

***

L’Etat français a obtenu la protection sous 6ter pour les emblèmes suivants :

Signe Catégorie 6ter Date de publication
29        30 Signe / Poinçon officiel 30.09.2016
31

 

Armoiries 31.03.2016
32 Signe / Poinçon officiel 30.05.2001
33 Signe / Poinçon officiel 05.11.1968

 

 

Marques acceptées Marques refusées
34 35
36 37
38 39
40 41
42 43
44 45
46 47
48
49
505152

  1EUIPO, 18/03/2015, R 1731/2013-1, LAPIN NA LA NOUVELLE AGRICULTURE (fig.)
  2EUIPO, 21/04/2004, T-127/02, ECA, EU:T:2004:110, § 41
  3INPI, 1ère Instance, 30 août 2017  
  4INPI, 1ère Instance, 05 juin 2018, fr-wo-1388199-p
  5INPI, 1ère Instance, 08 juillet 2015
  6Tribunal de Grande Instance de Paris, 26 mai 2015, N°15/54336
  7EUIPO, 05/05/2011, T-41/10, esf école du ski français (fig.), EU:T:2011:200, § 25
  8Demande de MUE n° 13 169 313
  9EUIPO, 05/05/2011, T-41/10, esf école du ski français (fig.), EU:T:2011:200
  10MUE n° 15 008 253
  11N°4418087 déposée et enregistrée le 09 janvier 2018
  12N°3896582 déposée et enregistrée le 13 février 2012
  13Tribunal de Grande Instance de Paris, 26 mai 2015, N°15/54336
 14Demande de MUE; n° 6 697 916, 01/03/2012, R 1211/2011-1, DIRO.net Lawyers for Europe (fig.); 13/03/2014, T-430/12, European Network Rapid Manufacturing
  15N°4515827 déposée et enregistrée le 15 janvier 2019
  16N°4563437 déposée et enregistrée le 28 juin 2019
  17N°4050506 déposée et enregistrée le 27 novembre 2013
  18Marque enregistrée N°4542686
  19Marque enregistrée N°4606219
Partager sur :