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Marques & Modèles

L’acquisition du caractère distinctif par l’usage dans le cadre d’une action en nullité.

Les marques sont des signes ayant pour fonction d’identifier l’origine d’un produit ou d’un service. Cela nécessite que le  signe en question soit par principe distinctif et arbitraire au regard des produits et services considérés c’est-à-dire qu’il ait la capacité d’identifier les produits et services couverts afin de les distinguer de ceux d’une autre entreprise.

Une exception à ce principe a été posée par le législateur français et européen, il s’agit de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage.  Aussi, les signes qui sont dépourvus de caractère distinctif peuvent être enregistrables à titre de marque et ainsi conférer des droits exclusifs à son titulaire, si ce dernier les ont exploités de manière telle que le client ou consommateur est à même de les percevoir comme  désignant l’origine d’un produit ou service. Le signe, ayant ainsi acquis la fonction de marque, est donc valable et peut être opposé aux tiers.

Toutefois, dans le cadre d’une action en annulation pour défaut de caractère distinctif, la question de savoir à quelle date il fallait se placer pour définir si le signe avait acquis ou non un caractère distinctif n’avait pas été réglée par le législateur. La jurisprudence française a hésité entre différentes solutions : S’agissait-il de la date du dépôt de la marque ? Ou de la date à laquelle l’action en nullité était intentée par un tiers ? Voire, à la date où le juge statue ?

Ce doute résultait :

  • A la fois de la rédaction de l’ancien article 3 paragraphe 3 de la Directive européenne de 2008 qui précisait que cette acquisition devait avoir lieu au jour du dépôt, tout en laissant la possibilité aux  Etats Membres de prévoir que l’acquisition du caractère distinctif peut avoir lieu postérieurement à cette date et notamment après l’enregistrement,

  • Et du fait qu’en France, l’article L711-2 alinéa 3 précisait seulement que le caractère distinctif peut être acquis par l’usage.

Lors de la révision des textes européens dits « Paquet Marque », la Directive européenne n° 2015/2436 du 16 décembre 2015 est venue préciser à l’article 4 paragraphe 4 qu’« Une marque n'est pas déclarée nulle pour les mêmes motifs [en raison de l’absence de caractère distinctif], si, avant la date de la demande en nullité et à la suite de l'usage qui en a été fait, elle a acquis un caractère distinctif.».

Nul doute désormais, le caractère distinctif d’une marque peut être acquis par l’usage après son enregistrement et par conséquent les usages postérieurs au dépôt doivent, et non plus seulement peuvent, être pris en compte dans l’appréciation de l’acquisition du caractère distinctif.

Cette évolution a d’ailleurs été anticipée et mise en pratique, sous couvert de l’application de la directive de 2008, par la Cour de cassation qui le 6 décembre 2016, a validé l'arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 31 mars 2015 dans une affaire vente-privee.com / showroomprive.com.

Dans cette affaire se posait la question de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage d’une marque semi-figurative « vente-privee », de trois marques semi-figuratives « vente-privee.com » et d’une marque verbale « vente-privee.com ».

La société showroomprive.com, demandeur à l’annulation,  faisait grief à l’arrêt de Cour d’Appel d’avoir accepté les éléments de preuves postérieures aux dates de dépôt, voire à la demande en annulation afin de reconnaitre aux marques en cause l’acquisition du caractère distinctif par l’usage.

La Haute juridiction rejette le pourvoi confirmant ainsi la position de la Cour d’Appel, qui a retenu que l’article L 711-2  n’exclut pas la possibilité de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage pour les signes qui en sont intrinsèquement dépourvus en tenant compte de l’usage qui en a été fait après l’enregistrement.

La Cour de Cassation précise que la France a usé de la faculté laissée aux Etats Membres par la Directive de 2008 et par conséquent les juridictions nationales doivent prendre en compte les éléments de preuve postérieurs à la date de dépôt et d’enregistrement.

La Haute juridiction reconnaît donc la possibilité de l’acquisition du caractère distinctif après le dépôt/l’enregistrement dans le cadre d’une demande en nullité.

En revanche, la Cour de cassation relève que la Cour d’Appel a pris en compte des éléments de preuve antérieurs, mais également postérieurs à la demande en nullité, pour toutefois retenir que la marque en cause avait, dès la demande en nullité, acquis un caractère distinctif par l’usage.

Ainsi, sa position quant à la date ultime de la prise en compte des éléments, même si elle semble évoquée, n’apparaît pas tranchée. S’agit-il de la date de la demande en nullité ou de la date à laquelle le juge statue ? L’analyse complète de la Cour d’Appel quant aux différents éléments de preuves a permis à la Cour de Cassation de ne pas prendre de position ferme sur ce point ; le caractère distinctif ayant été acquis en tout état de cause à la date de la demande en nullité.

En conclusion, si vous pensez que l’une de vos marques est dépourvue de caractère distinctif, ne l’abandonnez pas, bien au contraire ! Un usage intensif de celle-ci peut lui permettre d’acquérir un caractère distinctif et la rendre opposable aux tiers, lui conférant une valeur substantielle, tant d’un de point de vue financier que concurrentiel.

Nous vous invitons à vous rapprocher de votre Conseil habituel pour toute question à ce sujet.

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