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Une décision reconnait la validité d’une marque de l’Union Européenne constituée par la photo de son titulaire, laissant ainsi entrevoir la lisière frissonnante entre marques et droit à l’image.

Marques et droit à l’image : une décision reconnait la validité d’une marque de l’UE constituée par la photo de son titulaire

Rédigé par Frédéric Glaize

La protection du droit à l’image pourrait-elle s’appuyer sur l’enregistrement de marques ?

Une décision de la Quatrième Chambre de Recours de l’EUIPO rendue fin 2017 permet de nourrir quelque espoir en ce sens, en validant une marque  constituée par la photographie du visage d’une personne.

Si l’on excepte le fait que cette décision infirme le refus initial émis par l’Office, la validation d’une marque constituée par une photographie ne semble pas, à première vue, totalement révolutionnaire. En effet, quelques marques constituées de portraits analogues ont déjà été enregistrées sans que l’INPI ou l’EUIPO ne semble avoir posé de difficulté.

Néanmoins, la solution mérite qu’on s’y attarde car les décisions examinant la validité de marques constituées d’un portrait photographique sont assez rares[1], bien que ce type de marque sorte des sentiers battus.

On pourrait s’interroger, comme l’a fait l’Examinateur, sur la capacité d’un tel signe à être perçu par le public comme une marque, car cette décision détonne dans un contexte caractérisé par une hostilité générale de la part des tribunaux et des Offices quant à la protection des marques constituées de signes aussi peu traditionnels. En effet, selon les principes dégagés dans les arrêts Linde[2], Henkel[3] et Libertel[4] et rappelés de façon régulière, si les critères d’appréciation du caractère distinctif sont les mêmes pour tous les types de marques, il n’en demeure pas moins que la mise en œuvre de ces critères peut conduire à ce que la perception par le public pertinent ne soit pas nécessairement la même pour toutes les catégories de signes. Il peut donc s’avérer plus difficile d’établir le caractère distinctif de certaines catégories de signes. C’est pourquoi, très fréquemment, les marques qui ne sont pas constituées de logos ou d’éléments verbaux sont refusées à l’enregistrement sur la base de ces principes.

Or, dans le cas présent, la Chambre de Recours a considéré qu’était parfaitement valable une marque constituée par le portrait d’une personne, dans un format analogue à celui des photos d’identité. Le portrait en question est celui de Maartje Verhoef, mannequin de son état et déposante de la demande d’enregistrement de la marque.

Marque de l’Union Européenne n°014679351

Les produits et services visés par cette marque sont de nature diverse et relèvent des classes 3, 9, 14, 16, 18, 25, 35, 41, 42 et 44. Parmi ceux-ci figurent aussi bien des produits cosmétiques que des supports d’enregistrements, des bijoux, des vêtements, des services de divertissement mais également des services de modèles et mannequins ou des soins d'hygiène et de beauté pour êtres humains.

Alors que l’Examinateur avait rejeté la demande d’enregistrement de cette marque, la Chambre de Recours estime, au contraire, qu’il s’agit d’une marque valable car le signe en question n’est pas descriptif et qu’il n’est pas dépourvu de caractère distinctif en liaison avec les produits et services considérés.

La Chambre de Recours a notamment retenu que l’utilisation du visage d’une femme en relation avec des produits n’est pas descriptive du genre de la partie du public auquel le produit est destiné : le fait que la marque représente une personne de sexe féminin ne signifie pas que les produits identifiés par cette marque sont destinés aux femmes. Il est également jugé que la représentation réaliste d’une personne n’a rien à voir avec l’apparence des produits en cause.  

Enfin concernant ce que l’on peut considérer comme la « condition autonome de distinctivité » (ou la capacité du signe à remplir la fonction essentielle d’une marque), il est considéré qu’une marque ainsi constituée d’un portrait permet au public d’identifier l’origine commerciale des produits et services concernés et, en particulier, une origine commerciale émanant de la personne spécifiquement représentée. Sur ce point, la Chambre considère en substance qu’une analogie peut être tracée entre la photo d’identité d’une part et le prénom et le nom de famille d’une personne d’autre part. En effet, tous deux permettent « d’identifier cette personne et donc de la distinguer des autres ». Or, le prénom et le nom patronymique sont sans difficulté reconnus comme des éléments d’identification et les marques constituées de tels éléments nominaux sont légions.  

En affirmant que la photographie d’une personne peut constituer une marque valable, la décision de la Quatrième Chambre de Recours de l’EUIPO pourrait ouvrir des portes aux personnes qui exploitent ou souhaitent exploiter commercialement leur image au niveau européen.

À une époque où on constate, par exemple, que des dirigeants ou des créatifs sont mis en avant dans la communication commerciale, que des stars décédées remontent sur scène sous forme d’hologrammes, ou que des sosies sont employés pour des animations commerciales, pouvoir protéger l’apparence d’une personne par une marque présente un intérêt certain.  

En France, une protection effective du « droit à l’image » résulte d’une construction prétorienne dérivé de l’article 9 du Code civil relatif à la protection de la vie privée. C’est sur cette base que s’est développée une forme de patrimonialisation de l’image des acteurs, mannequins, figurants ou toutes autres personnes dont l’image peut être exploitée à des fins commerciales.

Alors que l’on ne saurait évidemment assimiler ces deux notions juridiques, la décision rapportée permet d’envisager plus facilement que le droit à l’image et le droit des marques se croisent, voire se complètent mutuellement. Ainsi, l’exercice de droits portant sur l’image d’une personne pourra être facilité grâce à l’existence du titre que constitue l’enregistrement d’une marque et des procédures de protection spécifiques dont elle bénéficie (retenue douanière, saisie-contrefaçon, « référé marque »…) ou qui lui sont reconnues en pratique (« notice and takedown »). La marque, qui constitue un actif incorporel, pourra aisément être l’objet de contrats. À cela s’ajoute le bénéfice des effets de l’harmonisation communautaire : une Marque de l’Union Européenne est protégée de façon uniforme sur le territoire de l’Union Européenne, ce qui est très loin d’être le cas du droit à l’image.

Il faut toutefois rester relativement prudent et modéré car la décision relatée n’a pas été rendue par une juridiction de rang élevé mais par un Office et car cette décision n’apparait pas consolidée par une pratique établie. Il convient également de rester conscient que ce qui est protégé reste le signe, tel que figé par l’enregistrement de la marque. Dès lors que plus de cinq ans se seront écoulés après l’enregistrement, des difficultés pourront surgir selon l’importance d’un éventuel écart entre le portrait déposé et celui effectivement exploité en tant que marque. Si ce degré de différence est trop élevé, la marque sera exposée au risque de déchéance pour défaut d’usage[5]. Ce risque sera à redouter si l’on laisse le marketing reposer sur l’aspect de la personne plutôt que sur le portrait qui est l’objet de la marque.

Enfin, dès lors que le déposant n’est pas le sujet du portrait, il est recommandé de formaliser un accord entre le titulaire de la marque et la personne physique représentée (ou ses ayants droits), afin de prévenir les risques de litiges qui, autrement, pourraient survenir entre eux.

 

[1] Dans un cas où il ne s’agit pas du portrait d’une personne mais de la représentation d’une partie du produit, on peut signaler, pour l’analogie, un arrêt de la Cour d’Appel de Paris qui a jugé que la marque constituée par un portrait photographique de la tête de la poupée Barbie® était valide (CA Paris, 13 juin 2012, RG 09/14921)

[2] CJUE, 8 avril 2003, affaires jointes C-53/01 à C-55/01, Linde AG, Winward Industries Inc. Et Rado Uhren AG.

[3] CJUE, 4 octobre 2007, aff. C-144/06 P, Henkel c/OHMI.

[4] CJUE, 6 mai 2003, aff. C-104/01, Libertel Groep BV c/ Benelux Merkenbureau.

[5] Article L.714-5 du Code de la Propriété Intellectuelle.

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